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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/383

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pays, des enfans qui auraient vu cela se seraient mis en chasse, à coups de chapeau, pour l’attraper ; mes petits neveux nippons au contraire ne bougèrent pas, se bornant à regarder ; tout le temps, les cercles d’onyx de leurs prunelles roulèrent de droite et de gauche, dans la fente étroite des paupières, afin de suivre ce vol qui les captivait ; sans doute emmagasinaient-ils dans leur cervelle des documens pour composer plus tard ces dessins, ces peintures où les Japonais excellent à rendre, en les exagérant, les attitudes des insectes et la grâce des fleurs.

Quand le papillon eut assez paradé devant nous, il s’en alla, pour amuser ailleurs d’autres yeux. Et jamais je n’avais si bien compris qu’il y a d’innocens petits êtres purement décoratifs, créés pour le seul charme de leur coloris ou de leur forme… Mais alors, tant qu’à faire, pourquoi ne les avoir pas inventés plus jolis encore ? A côté de quelques papillons ou scarabées un peu merveilleux, pourquoi ces milliers d’autres, ternes et insignifians, qui sont là comme des essais bons à détruire ?

Rien n’est déroutant pour l’âme comme d’apercevoir, dans les choses de la création, un indice de tâtonnement ou d’impuissance. Et plus encore, d’y surprendre la preuve d’une pensée, d’une ruse, d’un calcul indéniables, mais en même temps naïfs maladroits et à vue courte. Ainsi, entre mille exemples, les épines à la tige des roses semblent bien témoigner que, des millénaires peut-être avant la création de l’homme, on avait prévu la main humaine, seule capable d’être tentée de cueillir. Mais alors, pourquoi n’avoir pas su prévoir aussi le couteau ou les ciseaux, qui viendraient plus tard déjouer ce puéril petit moyen de défense ?

Ma belle-mère, après le départ du papillon, avait retiré de l’étui de soie rouge sa longue guitare, qui maintenant me charme ou m’angoisse. Les cordes commencèrent à gémir quelque chose comme un hymne à l’inconnu. Et les prunelles d’onyx des trois enfans, qui n’avaient plus à regarder que le jardin vide, s’immobilisèrent de nouveau ; mais ils ne s’endormaient plus ; leurs jeunes cervelles félines, sournoises et sans doute supérieurement lucides, s’intéressaient à l’énigme des sons, se sentaient en éveil et captivées, sans pouvoir bien définir…

De tous les mystères au milieu desquels notre vie passe, étonnée et inquiète, sans jamais rien comprendre, celui de la