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de ses infidélités. La douleur mêlée d’irritation qu’elle en ressentait se manifestait pour l’instant par une sorte de gêne et d’embarras. La grande joie qu’elle s’était promise à le revoir ne se retrouvait plus. Elle ne vivait depuis dix ans que pour cette minute ; quand elle y fut, elle eut envie de se sauver.

Elle avait été l’attendre chez Mme de Montespan, première bizarrerie : « — M. de Lauzun, disent ses Mémoires, vint après avoir vu le Roi ; il avait un vieux justaucorps à brevet,… trop court et quasi tout déchiré, une vilaine perruque[1]. Il se jeta à mes pieds et fit cela de bonne grâce ; puis Mme de Montespan nous mena dans son cabinet et dit : « — Vous serez bien aises de parler ensemble. » Elle s’en alla et je la suivis. » C’était une seconde bizarrerie. Lauzun en profita pour aller saluer le reste de la famille royale. En revenant, il retrouva sa princesse chez Mme de Montespan et ne la vit pas un instant seule : « — Il me dit que l’on ne pouvait pas avoir été mieux reçu qu’il l’avait été ;… que c’était à moi qu’il devait cela ; qu’il ne lui pouvait jamais rien arriver de bien que par moi, de qui il tenait tout. Il me tint des propos fort gracieux ; il avait raison d’en user ainsi. Je ne disais mot ; j’étais étonnée. » Cela fait, Lauzun s’estima quitte, et s’en retourna à Paris la conscience en repos. Mademoiselle n’osa point l’y suivre trop vite.

Le quatrième jour, ils se retrouvèrent à Choisy, une nouvelle maison que Mademoiselle s’était bâtie à deux lieues de Sceaux. Lauzun survint tandis qu’elle se coiffait avec des rubans couleur de feu. Il dit : « — J’ai été étonné de voir la Reine toute pleine de rubans de couleur à sa tête. — Vous trouvez donc bien étrange que j’en aie, moi qui suis plus vieille ? — Il ne dit rien. Je lui appris que la qualité faisait que l’on en portait plus longtemps que les autres. » (Mademoiselle avait écrit d’abord : « — Je lui dis que les gens de ma qualité étaient toujours jeunes. » Elle a effacé sa phrase.) Lauzun sut la remettre de bonne humeur, se laissa gronder, et s’échappa vers le soir pour retourner à ses plaisirs.

Le cinquième jour, ils se disputèrent. Lauzun avait tort ; il avait parlé de sa visite à Choisy comme d’une corvée.

  1. Le justaucorps dit à brevet, parce qu’il ne se pouvait porter qu’avec un brevet du Roi, changeait tous les ans. Il était donc très démodé au bout de douze ans. Lauzun avait pris perruque à Pignerol, pour se protéger contre l’humidité de sa basse-voûte.