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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/69

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politique ? Non, répond Lacordaire, on ne lui demande rien de pareil. On lui demande de ne pas se lancer dans des théories sans fond ni rive, de ne pas vouloir tout renverser à la fois, détruire sans savoir comment reconstruire. On demande la mesure, la justice ; on condamne l’exagération, la violence, l’utopie, la haine.

Pendant que s’échangeait cette correspondance, Lamennais devenait de plus en plus incompréhensible. Comme on paraissait douter de ses sentimens, et que certains évêques manifestaient ouvertement leurs soupçons, il demande à Rome, le 4 août 1833, qu’on lui indique une formule à signer, qui soit de nature à donner toute satisfaction et à en finir avec le débat. La formule lui est envoyée. Il hésite un peu à l’accepter. Puis, tout à coup, le 11 décembre, il la signe sans faire la moindre réserve, et, le 1er janvier 1834, il écrit à Montalembert qu’il abandonne, à partir de ce jour, ses fonctions ecclésiastiques, qu’il a des doutes sur des points fondamentaux, qu’il a signé pour la paix ; il répète, en d’autres termes, ce qu’il avait déclaré peu de temps avant à un rédacteur de l’Avenir, « que le catholicisme est une forme morte ou mourante. »

C’est de la stupeur que cette lettre produit sur Montalembert. Pendant que les catholiques se réjouissent, que le Pape félicite Lamennais, que l’archevêque de Paris le comble de prévenances, il erre, lui, comme un fou à travers les rues de Munich. Dans l’attitude du maître, une sorte de duplicité le révolte. Remis de son affolement, il lui écrit la plus admirable des lettres, le conjurant de réfléchir, de ne point se démentir, de rester ce qu’il paraît être vis-à-vis du public ; il lui montre que rien n’est perdu ; quel rôle il peut jouer encore dans l’Église, il le presse avec toutes les inventions d’une infinie tendresse. S’il le faut, qu’il parte, qu’il voyage, qu’il s’isole du présent, qu’il quitte pour un moment la région des orages. N’a-t-il pas été question d’un voyage en Orient ? Et alors, toute une idylle se présente à son esprit : « Ah ! si vous vouliez me rejoindre ici ! Nous prendrions ensemble une petite maison au bord d’un lac. Nous vivrions pour Dieu, pour l’avenir et l’un pour l’autre. » Il rappelle à Lamennais ce que le maître lui-même a écrit l’année précédente : « Appuyons nos deux pauvres âmes l’une sur l’autre, qu’elles s’aident à s’élever au-dessus de la terre, vers celui en qui seul elles posséderont la paix. » Il y eut un moment où Lamennais sembla troublé, touché par ces