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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/70

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supplications, par les élans de cette affection si profonde, et il écrivit à Montalembert, en février 1834 : « Que me reste-t-il au monde si ce n’est toi ? Ta vie est ma vie. Ce sont deux flammes qui se pénètrent et aspirent l’une vers l’autre à travers l’espace. »

Il tenait ce langage au mois de février, et quelques semaines après, le 26 avril 1834, au mépris des engagemens qu’il venait de prendre vis-à-vis de Rome, contrairement à toutes les promesses faites à son ami, sachant qu’il allait lui briser le cœur, il publiait les Paroles d’un croyant. La mesure était comble vis-à-vis de l’Eglise. Le Pape répondit par l’Encyclique du 7 juillet 1834. La condamnation était formelle, décisive. « Le temps des atermoierons est passé, écrit Lacordaire à Montalembert. Il faut prendre un parti. » Et cependant Montalembert espère encore. Il fera une dernière tentative. Seulement, cette fois, le ton n’est plus le même. Ce sont de véritables objurgations. On sent que sa conscience le presse et lui donne tout le courage dont il a besoin : « Entre l’Eglise et vous, personne n’hésitera, » écrit-il à Lamennais le 19 juillet 1834, en lui montrant, sans déguisement, de quelle hauteur il va tomber. « Il y a une grande différence, poursuit-il, entre Luther et vous, et, je ne puis vous le cacher, tout à votre désavantage. C’est que Luther n’a point été aussi inconséquent que vous l’aurez été, si vous ne vous soumettez pas ; c’est que Luther n’avait pas été pendant vingt ans le champion de l’infaillibilité du Pape, l’éloquent et sublime docteur de l’humilité et de l’obéissance, le redoutable et invincible adversaire de l’orgueil sous toutes les formes. Il n’avait pas été un des oracles de l’Eglise, l’espérance de tant d’âmes pieuses, l’objet du culte, pour ainsi dire, de tant de chrétiens, comme vous l’avez été. Il n’a trahi l’attente et la confiance de personne. » Quant à moi, déclarait-il le 22 novembre 1834 : « Je me sens la force de tout sacrifier pour conserver la lumière de la foi, et de tout endurer pour rester dans la communion des fidèles, dans cette union avec l’Eglise qui est le seul refuge des cœurs blessés. » — « Vous avez beau me dire que je ne dois pas m’inquiéter de l’Église, que Dieu saura la conduire. Est-ce que l’on dirait cela d’une mère bien-aimée ? L’Église pour moi est plus qu’une mère. Je lui dois les seuls momens doux et supportables de ma vie. Si la tentation pouvait me venir de la combattre un jour, je sens que ma langue et ma main refuseraient leur service. »