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reux Pistolet à qui il a tenu la patte, et qui bâillait à faire pitié pendant ce temps-là. La Luce t’écrira, et ton frère aussi. À cette heure-ci tout le monde dort, excepté moi, qui t’embrasse de toute mon âme et qui te supplie d’être bonne, courageuse, et sincère avant tout.


Solange à sa mère.
14 juillet 1841.

Ma chère mère, me conseilles-tu de prendre une amie en pension ? J’en ai deux à choisir : une qui est bonne quand on est en train de rire et de jouer ; l’autre qui est bonne pour vous faire travailler et vous sermonner. Ou bien me conseilles-tu de garder Luce pour tout à fait, parce qu’il faut que j’aie quelqu’un de mon âge à qui confier mes peines ?…


À la même.


1842.

… Pour une amie, j’en avais trouvé une, Célina Higonnet, mais je lui ai reconnu tout plein de défauts ; alors je l’ai laissée, et elle aime tout le monde… Je crois que je n’ai pas besoin d’une amie. Quand j’aurai quelque chose, je te le dirai. Car je ne vois pas à quoi peut servir une amie, quand on a une mère, si ce n’est pour jouer et plaisanter. Eh bien, si je veux une petite compagne, j’aurai ma Luce, et ce sera bien assez. Ensuite pour m’amuser j’ai : Augustine, Léontine et Marie d’Oribeau[1], qui m’aiment toutes et que j’aime aussi…


George Sand à sa fille (1842).

…Pauline [Viardot] est arrivée hier avec son mari… Tu penses quelle joie ç’a été pour moi de revoir ces bons amis, et surtout cette admirable Pauline, si bonne, si intelligente, si grande et si aimable en toutes choses. Je te ferai remarquer à ce sujet que je l’aime tendrement quoique je n’aie pas le moindre besoin d’une amie. À mon âge, on n’a plus besoin d’épanchement, et on a déjà formé assez de relations et assez d’amitiés éprouvées pour ne pas songer à en former d’autres. Cependant, dès que j’ai vu Pauline pour la première fois, j’ai senti qu’il m’était impossible de ne pas l’aimer, parce que le cœur s’attache nécessairement à ce qui est noble et grand. Ainsi, quand tu dis : quand on a une mère on n’a pas besoin d’amie, certes, tu dis une chose fort aimable et fort douce pour moi ; et tu as raison, en ce sens qu’aucune des amitiés que tu peux contracter ne pourra jamais se comparer à celle que tu trouves en moi. Mais tu te trompes, en croyant que tu ne dois d’affection à aucune autre personne qu’à celle qui te préfère à toutes les autres. Il n’en doit pas être ainsi, et, si je t’ai parlé seulement (dans ma réponse à tes questions sur l’amitié) des besoins que ton

  1. Augustine Brault, fille adoptive de George Sand, depuis Mme de Bertholdi ; — Léontine Châtiron, fille d’Hippolyte (demi-frère de George Sand), depuis Mme Simonnet ; — Marie d’Oribeau, fille d’une excellente amie de George Sand chez qui Solange « sortait » constamment à cette date.