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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/829

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ton cœur et ta raison seront plus développés, tu comprendras que tu as des devoirs envers les autres, aussi bien qu’envers toi-même. Et enfin quand tu seras tout à fait sage et tout à fait bonne, tu comprendras ce que tu dois à Dieu.

Certainement, si tu continues à être sage, tu viendras à Nohant le plus tôt possible, et le travail que tu y feras ne sera qu’un délassement. Voici comment nous passons nos journées, ton frère et moi, depuis quinze jours qu’il pleut à ne pas mettre le pied dehors. Nous déjeunons à dix heures, et du déjeuner jusqu’au dîner nous dessinons dans mon cabinet. Ton frère fait de très jolies aquarelles, avec une suite et une constance que je voudrais bien te voir mettre à quelque chose, fût-ce à faire du filet. Pendant qu’il dessine, je peins des fleurs et des papillons. Je t’ai fait un panier de fleurs que tu trouveras encadré dans ta chambre. Le soir, nous nous remettons à l’ouvrage à 8 ou 9 heures, lui à copier des gravures, et moi je lui fais de la lecture. Nous avons lu ces jours derniers Louis XIV et Louis XV dans Lavallée, et nous allons commencer la Révolution. Nous verrons si, quand nous serons trois, il n’y aura pas quelqu’un qui dira : Maurice, voyons, finis, donne-moi la table. Je veux la chaise. Il me faut la lampe. Tout cela c’est pour moi toute seule, etc. Tu pourrais faire des fleurs aussi bien et mieux que moi. J’espère d’ailleurs qu’il fera un peu plus beau temps et que nous pourrons nous promener…

Bonsoir, ma grosse Nine. Ton frère t’embrasse mille fois, et moi dix mille. Écris-nous toujours et aime-nous bien ; c’est-à-dire travaille et conduis-toi de manière à venir nous rejoindre bientôt.


À la même.
19 juillet 1842.

Ma grosse fille, il faut avoir plus de courage que tu n’en as, et ne pas tant te plaindre. Je suis fort touchée de toutes les choses tendres et aimables que tu me dis ; mais je vois bien que tu exagères un peu ta maladie, tes larmes et ton ennui. Je pourrais être fort inquiète de toi d’après tout ce que tu me mandes, si je n’avais de toi des nouvelles plus exactes et plus véridiques. Pourquoi outres-tu la vérité ? Est-ce par faiblesse pour toi-même ? Est-ce pour m’engager à te faire revenir ici plus vite ? C’est un bien mauvais moyen, et qui ne réussirait pas. Ce serait fort mal de jouer avec le chagrin que me causerait l’inquiétude. J’espère que tu n’es pas égoïste à ce point, et que tu t’es livrée à tes amplifications habituelles, sans réfléchir au mal qu’elles pourraient me faire, si je ne savais ce qui en est. Corrige-toi au moins du défaut que tu as de faire des récits ornés à ta fantaisie. C’est bon en riant, et je vois bien, d’après la nécessité où tu es de manger de l’herbe, que tu plaisantes en grande partie. Je le veux bien encore. Je rirai avec toi de ton bel esprit. Mais il ne faut pas pousser cela trop loin, et ne pas tellement mêler la farce et le sentiment, qu’en te lisant on ne puisse pas s’y reconnaître. Sois un peu plus sérieuse quand tu parles sérieusement et sois farceuse tant que tu voudras quand il s’agira de rire.

Adieu, ma bonne fillette. Ton frère t’envoie une lettre de ce malheu-