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religion comme du produit d’un état social, et pronostiquait de hautes destinées au mouvement de Ronge, parce qu’à l’issue de ce mouvement les classes sociales qui étaient en passe de conquérir l’autorité politique posséderaient aussi, dans l’Eglise nouvelle, l’autorité religieuse, et parce que, grâce à Ronge, la société religieuse à son tour, comme la société civile, allait être pénétrée par un principe permanent de révolution. Qu’il y eût un lien entre la levée des catholiques dissidens et l’avènement imminent d’une nouvelle couche sociale, c’est ce qu’indiquait aussi, dans ses Dialogues sur l’Église et l’État, le général de Radowitz. Il n’était pas jusqu’au communisme qui, dans l’Église « catholique allemande, » ne commençât à parler haut, par les lèvres du professeur Nées d’Esenbeck, le naturaliste de Breslau.

Mais pouvait-on s’étonner, dès lors, que les gouvernemens allemands s’inquiétassent, et que les adhérens de Ronge leur apparussent comme un noyau d’insurgés ? Metternich et les évêques prussiens éclairaient à ce sujet le gouvernement de Berlin ; et le vieux Goerres, à Munich, dans un pamphlet qui charriait l’invective, traçait en lettres sanglantes les mots fatidiques : Mane Thecel Phares, sur l’horizon des hommes d’État de l’Allemagne. Les rassemblemens tumultueux qui se formèrent à Leipzig, au mois d’août 1845, devant le palais du prince Jean de Saxe, et l’impétueuse éloquence avec laquelle les radicaux badois défendaient la secte nouvelle, justifiaient les avertissemens de Metternich. L’Autriche et la Bavière furent strictement fermées à toute propagande ; en Prusse, à une période de tolérance, une période d’arrêtés prohibitifs succéda, durant laquelle Ronge connut même la prison ; dans la Hesse électorale, toute réunion, même privée, fut interdite aux « catholiques-allemands ; » dans l’ensemble des autres États, les réunions leur furent permises, mais les prérogatives appartenant à toute société religieuse reconnue leur furent refusées ou marchandées.

La plupart des notabilités de la secte auront un rôle dans les assemblées révolutionnaires de 1848 ; mais leur Credo philosophique et religieux allant toujours s’atténuant, les « catholiques-allemands » refuseront, en 1865, en leur concile de Cologne, de maintenir le dogme d’un Dieu personnel ; ils s’appelleront bientôt, en beaucoup d’endroits, les « libres religieux » (freireligiösen) ; et sous ce vocable, encore aujourd’hui, dans quelques grandes villes d’Allemagne, ils donnent satisfaction à la