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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/305

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mains, et les a bien taillées ; quant aux autres, il les a prises comme on les lui fournissait, mais non sans les avoir soigneusement contrôlées, et c’est pour cela que son édifice reste, en fin de compte, si solide.

Il y a fait entrer, d’ailleurs, autre chose que des matériaux littéraires, et ç’a été là, en son temps, une de ses plus heureuses nouveautés. À la différence de ses prédécesseurs, Maurice Meyer ou Patin, non moins consciencieux que lui, plus philologues même peut-être, mais strictement cantonnés dans le domaine des textes, il a appelé à son aide toutes les sciences voisines, épigraphie, archéologie, numismatique, histoire du droit, que sais-je encore ? Le profit qu’il en a tiré éclate à chaque page. Les inscriptions funéraires lui disent quelles sont, en regard des opinions émises par les philosophes ou les théologiens, les croyances des gens ordinaires. Les temples bâtis en l’honneur des empereurs ou par leur ordre le renseignent sur les rapports du prince et de ses sujets, si diversement présentés par les poètes et les historiens anciens. Il retrouve dans les peintures de Pompéi la mythologie galante et souriante d’Ovide, dans celles des Catacombes la même fusion entre la forme antique et la religion nouvelle que dans les écrits des auteurs chrétiens. Inscriptions et monumens sont à tout instant rapprochés des textes, tantôt les corroborent, tantôt les contredisent, toujours les contrôlent utilement, et quelquefois les suppléent. Car il y a des régions de l’histoire que la littérature seule ne saurait nous révéler : sur l’armée et les provinces, sur les plébéiens et les esclaves, elle ne nous apprend pas tout ce que nous voudrions savoir. Les dédicaces et les épitaphes, cette littérature des illettrés, nous font pénétrer dans ces terres inconnues. M. Boissier, malgré sa longue intimité avec Cicéron, ne méprise point ces humbles lignes gravées dans une langue si peu cicéronienne : elles lui servent, quand il le faut, de documens, tout aussi bien que les chefs-d’œuvre des grands écrivains. Sur la tombe d’un obscur esclave de Rome ou d’un décurion de petite bourgade africaine, il recueille des mots qu’il commente aussi volontiers que les vers de Virgile et les tirades de Sénèque : ici comme là, n’y a-t-il pas le souvenir d’une vie et le témoignage d’une âme ?

Pour l’épigraphie et l’archéologie, comme pour la philologie, M. Boissier a dû beaucoup aux savans étrangers, aux