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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/306

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Italiens, Borghesi, J.-B. de Rossi, Lanciani, Pietro Rosa, et surtout aux Allemands, Helbig, Jahn, Jordan, Preller, Friedlaender, et, entre tous les autres, Mommsen. Il a si parfaitement possédé leurs ouvrages, les a si fréquemment et si loyalement cités, que des lecteurs superficiels pourraient se demander si son rôle ne s’est pas borné à vulgariser en France, sous une forme aisément assimilable, les découvertes de l’érudition germanique. Rien ne serait plus inexact. D’abord, M. Boissier a toujours gardé, envers ceux dont il mettait à profit les travaux, non pas l’indépendance du cœur qui est l’ingratitude, mais l’indépendance de l’esprit. Même contre le plus grand, contre Mommsen, il a défendu la mémoire de Cicéron avec un courage alors très rare. Lorsque des philologues allemands, Nissen en particulier, ont cru pouvoir poser comme une loi que les historiens latins ne se servaient jamais que d’une source unique, la plupart des érudits allemands, italiens et français, ont admis docilement cette opinion : M. Boissier a résisté, et avec de bons argumens. D’autres, autour de lui ou après lui, ont pu avoir la superstition de la science étrangère : lui n’en a eu que le respect. De plus, une différence essentielle le sépare, sinon de tous les érudits d’outre-Rhin, au moins de la plupart. Qu’on ouvre, par exemple les Mœurs romaines d’Auguste aux Antonins de Friedlaender, et qu’on lise ensuite la Religion romaine : là, on trouvera une collection, très riche, mais très confuse, de petits faits accumulés, empilés, se suffisant à eux-mêmes ; chez M. Boissier, les mêmes détails s’ordonnent et s’organisent, deviennent les traits d’un tableau de mœurs, les parties composantes d’une investigation sur l’état de la société. Par là, M. Boissier s’éloigne des chercheurs des autres pays, et se rapproche au contraire des grands historiens français de sa génération, de Renan, de Taine, de Fustel de Coulanges. On peut lui appliquer, comme à eux, l’admirable définition donnée par Fustel : « L’histoire n’étudie pas seulement les faits matériels et les institutions, son véritable objet d’étude est l’âme humaine ; elle doit aspirer à connaître ce que cette âme a cru, a pensé, a senti, aux différens âges de la vie du genre humain. » M. Boissier exprimait volontiers des idées analogues, sous une forme plus familière et plus piquante. Il nous souvient de l’avoir entendu protester un jour très spirituellement contre les railleries dont La Bruyère accable le pauvre Hermagoras. « Oui, nous disait-il, que la main droite