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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/452

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reliefs et effacé les empreintes. Quelle erreur ! Tout au rebours M. Jules Lemaître constate qu’» au XVIIe siècle la politesse extérieure recouvre une vie passionnelle extrêmement énergique et souvent une brutalité foncière et pêle-mêle des héroïsmes et d’abominables crimes. » C’est le contraire du paradoxe de Stendhal. Il n’est que de feuilleter les mémoires et les correspondances, sans parler même des rapports de police. C’est déjà le point de vue dont Mme Arvède Barine avait tiré un si merveilleux parti dans ses études sur la Grande Mademoiselle et sur Madame, mère du Régent. M. Jules Lemaître est frappé du grand nombre des esprits libres qu’il rencontre dans notre ancienne société, et de l’abondance des individus originaux, en comparaison de qui les gens d’aujourd’hui semblent affreusement pâles. Et chaque fois qu’il trouve sur son passage un de ces « originaux, » il nous fait le plaisir de nous le présenter. Bien sûr quand il nous parle, avec l’irrévérence que l’on sait, de la « grosse » Sévigné et de son « odieuse » fille, il ne fait que céder à un mouvement de mauvaise humeur ; ou peut-être est-ce un artifice de l’écrivain soucieux de rapprocher les temps : on dirait qu’il sort d’un salon où une dame encombrante et sa péronnelle de fille lui ont agacé les nerfs. Il excelle en effet à nous communiquer cette sorte d’impression directe, à nous suggérer comme actuelles la vision des choses et l’image des gens, à nous faire croire non seulement que c’est arrivé, mais que nous y étions. Ne sentons-nous pas en nous un peu de l’émotion des gens de la Ferté-Milon qui voyaient passer les messieurs de Port-Royal réfugiés dans leur bourgade paisible : « Par les belles soirées de l’été de 1639, les habitans de la ville, assis devant leurs portes, regardaient passer quatre bourgeois fort simplement vêtus qui, revenant de la promenade, marchaient l’un derrière l’autre en disant leur chapelet. Les bonnes gens de la Ferté-Milon se levaient par respect et faisaient grand silence pendant que passaient ces messieurs… » En nous présentant les maîtres du petit Racine, M. Jules Lemaître n’a eu l’occasion de portraiturer aucun des éminens parmi les solitaires, ni Pascal, ni Arnauld, ni Singlin, ni Sacy. Il n’a eu affaire qu’aux comparses ; mais ceux-là mêmes combien ne sont-ils pas accomplis en leur type, l’aimable Nicole, et Lancelot cet humble passionné, et M. Hamon ce bizarre et délicieux bonhomme ! Les amis de Racine, c’est Molière, si tourmenté, si malheureux, c’est La Fontaine, le plus ingénu des bohèmes, c’est Boileau, si grand artiste et si brave homme ! Mais à chaque instant, de tous les coins de cette société qu’on nous donne pour unie et disciplinée et qui