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est au contraire diverse, mouvante, irrégulière, on voit surgir de ces bons types, depuis le visionnaire Desmarets, jusqu’au fantaisiste de Cézy, gens d’esprit personnel, d’humeur aventureuse, et qui ne ressemblaient à personne, mais qui se ressemblaient à eux-mêmes furieusement.

Bien des causes expliquent cette force d’originalité dans les caractères. La première est sans doute l’habitude de la vie intérieure. Regarder en soi est un bon moyen pour qui veut se maintenir tel qu’il a résolu d’être. Scruter les mobiles de ses actes est encore la seule méthode qu’on ait trouvée pour préserver de toute atteinte sa personnalité. Impossible, autrement, de faire le départ entre ce qui vient de nous et ce qui vient d’ailleurs, entre ce qui chez nous est volontaire et ce qui nous est imposé : et c’est la condition essentielle pour résister aux pressions étrangères, celles de l’opinion, du monde, du pouvoir. Ajoutez que l’attention prêtée par nous à certains traits de notre psychologie a pour effet de les développera l’extrême, et d’achever ce que la nature avait seulement ébauché. Un être dépourvu de vie intérieure n’a que l’apparence d’un être humain. Très importante ensuite pour garantir l’intégrité individuelle, l’existence de grandes collectivités, de puissans organismes. Notre faiblesse a besoin d’être étayée par toute sorte d’appuis : elle les trouvait jadis dans ces grands corps dont chacun avait ses traditions, ses usages, ses droits, ses privilèges, si l’on veut, et, pour tout dire, son âme : Église, Parlement, diplomatie, armée, associations de métiers. A toutes ces « sociétés » faut-il joindre la plus naturelle de toutes, la famille, alors si fortement constituée ? Et n’est-ce pas elle qu’il eût fallu citer d’abord ? Ses cadres offraient à l’individu d’incomparables moyens de défense pour lutter contre toutes les forces de destruction. Il y avait alors une Ville et une Cour ; il y avait une province, et, mieux encore, des provinces. Ne croyons pas d’ailleurs que cette diversité rendit les rapports entre gens d’un même pays plus difficiles que nous ne les voyons aujourd’hui. A pénétrer un peu intimement dans la vie de l’ancienne société, il est impossible de n’y pas remarquer « la douceur, la bonhomie, la cordialité des mœurs bourgeoises à Paris, enfin la multiplicité et la familiarité des relations entre la bourgeoisie et la noblesse, et l’absence totale de morgue, la morgue datant du jour où les rangs ont été légalement confondus. » Que pense de cette révolution le sociologue ? et, du point de vue où il se place, la tendance actuelle à l’uniformité peut-elle être considérée comme un progrès ? c’est une autre affaire et