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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/78

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pensé et je pense souvent à vous, avec une vraie amitié de ma part et une vraie confiance dans la vôtre. J’ai connu beaucoup d’hommes dans ma vie longue et pleine. Il n’y en a pas beaucoup de qui, à quatre-vingt-deux ans, j’en dise autant.

Je suis rentré dans ma vie de travail tranquille, de repos sain et de liberté. Je m’amuse à rédiger les leçons d’histoire de France que j’ai données depuis dix ans à mes petits-enfans. Je lis les journaux ; je prépare pour la Revue des Deux Mondes une notice sur le duc de Broglie. J’aime mes amis morts autant que s’ils étaient vivans et je me complais à parler d’eux comme les générations prochaines feront bien d’en penser. Nous nous en allons beaucoup. Berryer, Lamartine, Sainte-Beuve, le duc de Broglie, Montalembert, Villemain, c’est plus de pertes que l’Académie française n’en peut supporter. Thiers me disait, aux obsèques de l’un d’entre eux : « Il ne restera plus personne pour faire notre éloge, à vous et à moi. » On m’écrit que Mérimée est bien près de s’en aller aussi.


Val-Richer, 29 novembre 1870.

Votre lettre du 15 m’a fait grand plaisir, mon cher confrère ; j’y ai retrouvé la fermeté et la netteté ordinaire de votre écriture, c’est beaucoup de ne plus souffrir. J’espère qu’avec un peu de temps, la force vous reviendra ; je ne vous ai jamais dit tout le bien que je pense de vous et toute l’amitié que je vous porte ; plus je vous ai connu, plus j’ai pris confiance dans votre excellent esprit, votre talent ferme et simple, la solidité de vos idées et la fidélité de vos amitiés. Votre maladie a été une vraie perte pour notre cause et pour moi. Guérissez-vous, profitez longtemps du beau climat de Pau. Personne ne sait ce que nous deviendrons tous cet hiver. Vous êtes dans l’une des parties de la France qui courent le moins de chance d’être troublées. Je suis jusqu’ici fort tranquille dans mon Val-Richer. Le Calvados est à peine entamé sur quelques points de ses frontières ; bien moins que l’Eure et la Seine-Inférieure. L’esprit de la population n’est pas plus entamé que le territoire ; les conservateurs dominent ; point ardens, mais point rebelles à la guerre. Nos gardes mobiles rejoignent en ce moment l’armée de la Loire. J’ai chez moi cinq des enfans de ma fille Pauline, ma belle-fille Gabrielle, une fille de Mme Gaillard. Ma fille Henriette est à la tête des bonnes