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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/153

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auteur de toutes ces misères, s’est empoisonné. La cause de son suicide est restée inconnue.


IV. — UN MEETING D’INVALIDES
30 mai.

Je m’étais bien promis de ne plus rien organiser désormais ; on risque toujours de tomber dans un piège : les gens de l’ancien régime sont partout entourés de méfiance.

Cependant, voici deux officiers qui désirent me parler. Le premier, un grand, à la barbe noire, des yeux de myope, le regard fuyant sous le lorgnon, se présente à moi, sous le nom d’Oréolovitch. Il a servi dans la Croix-Rouge, puis dans le Comité industriel et se dit très protégé par Goulchkof[1] qui le connaît depuis la guerre japonaise. Son compagnon, un Kirghiz invalide, est un certain Lapine décoré de la médaille de Saint-Georges. Il dirige, avec Oréolovitch pour adjoint, une formation de volontaires invalides levée depuis peu.

D’abord les deux hommes ne m’avaient guère inspiré confiance. Mais cette première impression se dissipe, quand j’apprends le but de leur visite. Il s’agit d’envoyer au front des détachements de volontaires, recrutés parmi des soldats mutilés ou blessés pendant la campagne. Leur exemple réveillera le courage de ceux qui ne veulent plus se battre et se laissent gagner par la propagande bolchevique. Mais les invalides ne possèdent aucunes ressources : pour s’en procurer, ils veulent organiser un meeting monstre avec le concours des orateurs les plus célèbres. Ils viennent me prier d’en prendre sur moi l’initiative et l’organisation.

J’essaie de me récuser. Je proteste que je n’ai aucune des qualités requises pour cette tâche. Mais comment résister à leurs prières ? Leur idée est belle et touchante : elle peut donner des résultats sérieux. Car quel geste pourrait mieux faire éclater au grand jour l’amour de la Patrie, que celui de ces hommes mutilés, déjà victimes de la guerre et qui, loin d’aspirer au repos, n’ont d’autre désir que de se sacrifier à nouveau et d’offrir une seconde fois en holocauste au pays leur chair ravagée et leur sang ? Très émue, je promets de prendre l’œuvre en main et de faire mon possible.

  1. Président de la 2e Douma et du Comité de guerre, ministre de la Guerre au sein du gouvernement provisoire au début de la Révolution.