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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/154

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Avant toute chose, je me rends au siège de leur comité : pour toute installation, ils ont dans une misérable chambre une table entre quatre murs. Ce comité n’était riche qu’en disputes. Pas un point sur lequel ils fussent d’accord. D’ailleurs, aucun d’eux ne savait écrire correctement, sauf Oréolovitch, à qui on décernait ici le grade de colonel. Je leur expose qu’il faut d’abord instituer un comité d’honneur choisi parmi les chefs les plus influents de tous les partis politiques acquis à l’idée de la défense nationale. Le meeting n’a de raison d’être que s’il devient l’occasion d’une grande manifestation groupant autour de l’idée de patrie tous ceux qui, malgré la divergence de leurs opinions politiques, communient dans le même culte patriotique. A la tête il faut une personnalité représentative, populaire dans les milieux russes, symbolique pour l’étranger.

Gamme toujours dans les réunions de ce genre, les soldats crient d’une seule voix : « Pravilno[1]. » Puis, après des palabres sans fin sur les mérites respectifs de Kerensky[2] et de Rodzianko, la candidature du président de la Douma l’emporte… Je suis chargé d’aller le solliciter.

Cette première séance m’a confirmé dans l’opinion où j’étais déjà qu’une telle entreprise est au-dessus de mes forces. Ces malheureux ne se doutent de rien : ils ajoutent beaucoup plus d’importance au détail de leur futur uniforme et à la couleur de leurs galons qu’aux questions essentielles. Mais ils sont tellement persuadés de la réussite de leur projet, la désillusion qu’ils éprouveraient à la suite d’un échec serait telle, qu’il faut à tout prix essayer de leur venir en aide et de lever avec eux l’étendard moral de la victoire.


2 juin.

Sur le front, les armées russes vont passer à l’offensive. Il s’agit donc de secouer la torpeur où s’est engourdie l’âme russe : c’est, en un pareil moment, le devoir de tous. Il n’est pas de jour où, dans quelque cérémonie publique, aux représentations théâtrales, un ministre prend la parole. On commence

  1. Juste.
  2. Kerensky, chef du groupe des « travailleurs » à la Douma et des socialistes révolutionnaires au début de la Révolution, ministre de la Justice, ministre de la Guerre dans le cabinet du prince Lvoff. Président du Conseil en juillet, il fut renversé le 25 octobre par le coup d’État.