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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/352

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même date (1540), la futaine se paie 4 francs ou 24 francs ; entre la tiretaine à 54 francs en 1298 et la tiretaine à 3 fr. 50, en Languedoc, en 1783, la distance est telle qu’il est permis de supposer que l’étoffe a changé de nature à travers les âges, en gardant son nom. Classés suivant leur usage, — culottes ou bonnets, bannières ou manteaux, — les draps offriront encore beaucoup d’écarts selon leurs propriétaires. Lorsque la situation sociale de ces derniers nous est connue, les idées se précisent davantage.


V

« Un temps dont on n’a pas un échantillon de robe, disaient les Goncourlt on ne le voit pas vivre. » A défaut des tissus qui lui échappent, ce n’est pas un pur souci du pittoresque qui pousse l’historien à regarder passer, sur les estampes anciennes, les gens qu’il raconte, — Taine n’y manquait jamais, — mais le besoin de les mieux connaître en évoquant leur aspect. Par le dépouillement de leurs comptes de loi lotte nous pénétrons dans leur ambiance ; ce for intérieur, ces dessous des sociétés anciennes que le crayon ou le pinceau ne révèle pas, les chiffres l’éclairent. Ils précisent les distances des classes et des gens, trahissent des efforts, des satisfactions d’amour-propre, ou des économies et des privations, par conséquent des joies et des peines de l’humanité d’hier.

Nos pères ont connu comme nous des modes tour à tour absurdes ou gracieuses et les plus fantastiques ne furent pas celles qui ont passé le plus vite ; témoin ces couvre-chefs à forme de bourrelets, prolongés par derrière en une longue queue de velours plissé pendant jusques à terre, que les dames gardèrent cent trente ans sur leur tête, du milieu du XVe siècle à l’avènement de Henri IV. Autant que notre contemporaine, la femme souffrait au moyen âge d’être réduite à porter une robe « dépiécée, truandé et déroute ; » elle requérait de son mari la belle toilette : « Monseigneur, je vous en prie, que j’en aie ! » Le héros du « jeu de Robin et de Marion » trouve que les bachelettes « n’ont pas besoin d’attifailles, » et les assoiffées d’élégance sont traitées, dans un autre fabliau, en coupables guettées par l’enfer : « Cette femme, dit le diable, avait dix paires de robes, tant longues que courtes et autant de cottes-hardies. La