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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/353

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moitié, le quart, pouvait suffire à une dame simple. Cinquante pauvres eussent été vêtus avec le prix d’une de ces robes. » Une châtelaine de Heudorf, si l’on en croit Janssen, vendit vers 1480, pour une modique somme, tout un village afin de pouvoir porter à un tournoi un manteau de velours bleu. Plus d’une bourgeoise de l’Allemagne du Sud avait alors pour 3 000 florins de vêtements dans ses armoires ; or un bœuf coûtait 3 florins.

Les costumes étaient donc des capitaux, dont on laissait en héritage, à l’un la propriété, à l’autre la jouissance. Un légataire reçoit par testament l’usage d’un manteau pendant quelques années à charge, au bout de ce temps, de le rendre à une autre personne (1464). Le contrat notarié où sont inventoriées et décrites les trois robes — la plus chère est estimée 235 francs, — le tablier de taffetas, l’auberger, les. collerettes et autres effets d’une demoiselle de la Caza Bianca, épousant le « sergent-major, » — c’est-à-dire le commandant de place, — de Sisteron (Provence), se termine par cette clause : « Lesquels objets, le fiancé promet de rendre au beau-père dans le cas où sa femme mourrait sans enfants (1581). » Les vêtements et le linge sont choses assez précieuses pour constituer une dot, — la dot entière parmi le peuple, — une matière a transactions ou à indemnités : le plus clair des dommages-intérêts, adjugés en justice aux villageoises du XVIe siècle « séduites et desviollées, » est avec quelques setiers de blé, une robe de bureau, faite et fournie, une couverte et quelques linceuls (draps de lit).

« Friperie » n’est, dans notre langue actuelle, qu’une expression figurée depuis que les fripiers ont disparu. Ils louaient encore au XVIIIe siècle des manteaux et robes de deuil aux plus grands seigneurs ; des dames riches et de haut rang achetaient, même assez cher, aux « revendeuses à la toilette » des jupes et des camisoles en satin broché qui « avaient un peu servi. »

La durée des costumes épargnés à raison de leur prix comme des valeurs permanentes, l’absence de communications, en protégeant la diversité des types provinciaux, s’opposaient, semble-t-il, aux brusques fluctuations de la mode ; de fait, le montagnard de l’Aveyron, vêtu au commencement du XIXe siècle, d’un pourpoint à larges manches et à basques boutonnées, avait l’air d’un personnage de tapisserie ; sa femme,