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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/470

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RÉCEPTION
DE
M. LE Vte FRANÇOIS DE CUREL
Á L'ACADÉMIE FRANÇAISE

L’Académie nous a donné, le 8 mai, ce plaisir : un auteur dramatique a dessiné, d’un trait subtil et fort, le portrait d’un autre auteur, son devancier ; un métaphysicien a fait à son tour le portrait du dramaturge qui venait de parler. La scène française a eu tout l’honneur de cette journée ; et, s’il est vrai que notre théâtre est essentiellement la peinture des hommes, ces deux portraits, solides et vivants, étaient l’hommage le plus conforme à sa propre nature. M. de Curel et M. Boutroux, ainsi changés en critiques dramatiques, ont apporté à cette profession nouvelle les habitudes de leur esprit. C’est un renouvellement excellent de la critique elle-même. M. Boutroux a parlé en philosophe, et M. de Curel en auteur : c’est ce qui rend leurs discours si savoureux.

Quand deux heures eurent sonné, et que le roulement du tambour se fut fait entendre, M. Boutroux prit place au fauteuil du directeur entre M. Brieux et M. Masson. Et l’on vit à la place du récipiendiaire, entre M. Doumic et M. Henri de Régnier, un homme de taille moyenne, une forte tête lorraine, avec peu de cheveux et une barbe encore brune, hérissée, clairsemée, pareille à un taillis. Les tempes sont fortes, le nez socratique, le teint coloré. Mais l’œil est extraordinaire. On le voit briller tout à coup, petit, noir et vif. Il jette un regard de coin, un regard rapide et net. Puis les sourcils qui s’étaient levés s’abaissent, l’œil s’éteint, et la lecture continue d’une voix forte, égale, qui ne nuance pas les idées, mais qui les pousse en avant.

Le propre de l’auteur dramatique est de construire des