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personnages chez qui l’unité donne l’illusion de la vie. M. de Curel, par ses habitudes d’auteur, devait logiquement reconstruire un Paul Hervieu plus logique. Il devait en faire un portrait homogène et simple. C’est précisément ce qu’il a fait. « Paul Hervieu, a-t-il dit, était venu au monde à la lisière de ce bois de Boulogne où des saules transplantés pleurent, la terre natale dans des lacs aux contours savants. Dès sa plus tendre enfance, parmi des arbres exotiques bien faits pour abriter un peuple de déracinés, au milieu de cette nature asservie, le petit Hervieu s’était habitué à voir s’étendre sur toute la création la loi de l’homme. Il montra plus tard qu’il ne s’y était pas résigné. » Le voici maintenant au collège, et déjà la vocation des lettres se manifeste : ses camarades l’appellent l’Hugolâtre. Le voici à l’École de droit : on pourrait penser qu’il y a pris ces sentiments d’implacable justice ; seulement, inscrit à l’École-, il n’y mettait jamais les pieds. Admettons donc que l’esprit d’équité était déjà en lui et n’a pas eu besoin, comme le dit un peu rudement M. de Curel, des leçons d’un professeur de chicane. Voici enfin Hervieu qui s’essaie à la diplomatie : il se perfectionne ainsi « dans l’art d’imposer à sa nature passionnée le joug des bonnes manières. » Il aborde la politique et s’en détourne : c’est qu’il, est « trop maître de son imagination pour se plaire dans l’utopie, et trop loyal pour la cultiver sans l’aimer. »

Voyez-vous dans ces quelques lignes apparaître déjà tout le caractère d’Hervieu ? Une nature passionnée, mais fortement surveillée, et dissimulée sous la correction des manières ; une imagination tenue en bride ; une grande loyauté d’esprit et un sentiment sévère de la justice ; enfin un Parisien de Paris, qui s’intéressera peu à la nature et même à l’homme naturel, mais beaucoup à l’homme social. Le voilà qui est posé dès les premières lignes, j’allais dire dès les premières répliques, comme on fait au théâtre. C’est un excellent premier acte.

Le reste du discours sera pareillement distribué en actes. Le « deux » sera fait avec les écrits de jeunesse. M. de Curel se représente le jeune homme à ses débuts dans les lettres, et, par un procédé familier aux auteurs, il fait, sans le dire, un retour sur ses propres débuts. Il peint la folie de l’inspiration, la hardiesse naïve dont on reste plus tard effrayé, la lutte contre les voix décourageantes, et les premiers livres qu’on sème sur sa route, aussi oubliés que les cailloux du Petit Poucet. Ce sera là un excellent passage pour une biographie de M. de Curel. Il s’est identifié avec son personnage : c’est ainsi qu’on fait les bonnes pièces.

Mais cette identité ne peut pas beaucoup durer. Hervieu était