Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Germano-Américains ; moi, j’aurais plutôt peur de ce qu’on leur fera. Il en est sans doute qui plastronnent encore pour le moment. « Sachez qu’il y a vingt-cinq millions d’Allemands en Amérique ! » rappelait, l’autre jour, un Germano-Américain à un Américain sans trait d’union ; mais vous avez lu la réplique de ce dernier : « Sachez qu’il y a en Amérique vingt-cinq millions de réverbères. » Ce ne sont pas là de vains mots : le geste suivrait vite. Nous avons la patience longue, en ce pays, — et, pour peu qu’on en abuse, la main prompte. On n’aura, d’ailleurs, pas lieu d’en arriver à ces extrémités.

« Quelques petites incartades sont peut-être inévitables au début ; mais l’Amérique n’aura pas plus tôt entonné sa chanson de marche que tout le monde sans exception lui emboîtera le pas. Pour en revenir aux Irlandais, vous avez pu constater que c’est un des leurs, M. Malone, regardé jusqu’ici comme un pro-germain avéré qui, en sa qualité de maître de port, a dû procéder, vendredi, à la saisie des navires allemands dans les bassins de Hoboken : si désagréable que fût pour lui la corvée, avouez qu’il s’en est acquitté à son honneur…

Oui, et la scène, à bord du Vaterland, fut même, paraît-il, assez impressionnante. Officiers et matelots s’étaient massés sur le pont supérieur du bateau monstre, en grande tenue, pour recevoir les autorités de la douane américaine. Le commandant Hans Ruser eut un sourire attristé, en voyant s’avancer vers lui M. Malone, son ami d’ancienne date ; les deux hommes se serrèrent vigoureusement la main en silence, puis le maître du port annonça :

— Nous avons ordre de prendre possession des navires internés, et nous allons le faire, pour ce qui est du vôtre, commandant Ruser, de manière à vous occasionner le moins de dérangement possible.

— Je vous remercie de la considération que vous voulez bien me témoigner, répondit le loup de mer hambourgeois. Nous sommes prêts, monsieur. Agissez selon vos instructions.

Lorsque les formalités de la livraison furent accomplies, comme il était l’heure de déjeuner, M, Malone invita tous les officiers à luncher avec lui dans un des hôtels de Hoboken, leur offrit le cigare des dernières cordialités et, l’agape close, les remit à l’escorte chargée de les conduire au lazaret d’Ellis Island.