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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/692

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pour l’autre, trente années d’impuissance et de stagnation (1815-1848), deux d’anarchie (1848-1849), et pour terminer une crise organique aboutissant à une guerre fratricide. Considérée comme expérience de droit public, cette tentative apparaît à distance comme moins heureuse qu’instructive ; elle montre qu’une société d’Etats ne peut s’établir et fonctionner avec tous ses avantages que si chacun d’eux se dépouille au profit de tous d’une partie de ces droits de souveraineté que les nations modernes considèrent comme l’attribut le plus précieux et la garantie de leur indépendance.

S’il fallait chercher une excuse aux fautes commises par les auteurs de la constitution germanique, on la trouverait dans les circonstances au milieu desquelles ils durent en achever l’élaboration. Le débarquement de Napoléon à Fréjus, dont ils apprirent la nouvelle le 6 mars, les força de précipiter la marche de leurs travaux et de les achever au bruit des armes.

Si leur œuvre de réorganisation européenne a été condamnée par le temps, les utiles sujets de réflexion qu’elle nous offre nous enlèvent pourtant le droit de la considérer comme entièrement stérile. Les désillusions même auxquelles elle a donné lieu sont de nature à nous mettre en garde contre l’exagération d’espoirs fondés sur la méconnaissance des imperfections inhérentes à toute œuvre humaine. Des compromis auxquels elle a abouti ressort cette évidence qu’un principe unique est impuissant, si général soit-il, à résoudre la diversité des problèmes internationaux et que l’application théorique doit en être tempérée par une conciliation opportune entre les intérêts en présence. Enfin, les difficultés auxquelles le Congrès a été exposé par suite de ses lenteurs mettent en relief cette vérité, trop souvent méconnue, que les mêmes qualités de décision font les succès diplomatiques et les victoires militaires ; et que c’est une périlleuse méthode de s’en remettre au temps pour terminer des différends qu’il est souvent plus propre à envenimer qu’à apaiser.


ALBERT PINGAUD.