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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/83

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de notre douleur de retentir, il racontait à l’Europe nos prétendus crimes et s’employait à lui démontrer que nous ne méritions pas le nom de nation civilisée, mais qu’on devait nous abattre comme des bêtes fauves. Le gaz empoisonné qu’il a appelé à son secours sur les bords de l’Yser n’est rien auprès du gaz fétide de la calomnie dont il a accumulé les nuages sur notre malheureuse patrie.

Il n’a rien épargné : ni notre gouvernement, ni notre clergé, ni notre paisible population civile ; il n’a pas même su s’arrêter devant la douleur de nos femmes, il a poussé l’atrocité jusqu’à présenter comme des monstres de cruauté nos jeunes filles, des enfants de quatorze et de dix ans. Si le monde devait ajouter foi à de telles accusations, le peuple belge serait l’opprobre de l’humanité. C’en est trop, et, pour le coup, l’univers entendra la voix de la victime jusqu’aujourd’hui muette. Je l’élève, cette voix, au nom de ma patrie mutilée et sanglante.

Je cite l’Allemagne devant le tribunal de la conscience humaine : qu’elle essaie de répondre à mon acte d’accusation ! Elle ne trouvera ici que des faits qu’elle avoue ; je parle d’après ses journaux et ses revues ! lorsque je cite des témoignages belges, ils ont été soigneusement contrôlés. J’ai enseigné et pratiqué pendant quarante ans la critique historique, et j’en ai appliqué la méthode ici, avec d’autant plus de rigueur que je sens toute la responsabilité que j’assume.

Est-il nécessaire de dire que ceci n’est pas une œuvre de haine, ni de vengeance ? Ceux qui chercheront dans ces pages des hymnes à la civilisation latine ou des imprécations contre la barbarie tudesque feront bien de ne pas les parcourir : elles ne les satisferont pas. Etranger aux misérables querelles de races qui sont l’opprobre de la civilisation contemporaine, je n’avais pas de rêve plus ancien que celui de réconcilier, sur le sol de la libre Belgique, le génie des deux grands peuples faits pour se comprendre et pour s’aimer. J’avais consacré ma vie à cette tâche. Je dirai plus : l’Allemagne n’avait pas en Belgique de meilleur ami que moi. Il me plaît de le déclarer hautement, à l’heure où un pareil aveu peut constituer, en Belgique et ailleurs, un titre à l’impopularité[1] : il sera, en attendant, le

  1. Certains Belges en profitent pour me représenter en France comme un pangermaniste et un gallophobe ; je ne leur fais l’honneur, ni de leur répondre, ni de prononcer leurs noms.