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gage de toute l’impartialité que le lecteur a le droit de demander à un Belge racontant les, douleurs de sa patrie. On verra que je me suis efforcé d’arriver à la plus stricte objectivité possible. J’ai dit à mon cœur de ne pas battre et à ma plume de ne pas trembler pendant que je traçais ces tristes pages. Si, à mon insu, j’avais été désobéi çà et là, le lecteur ne s’en étonnerait pas, et j’espère qu’il me pardonnerait. Qui pourrait exiger une impassibilité absolue du fils qui voit frapper sa mère, et qui ne peut venir à son secours ?

Ces pages n’auraient jamais vu le jour si la main qui les a écrites était encore capable de tenir un fusil, et la carrière de l’auteur se serait achevée dans les tranchées de l’Yser. Mais puisque la mort, comme la fortune, méprise les vieillards, on ne s’étonnera pas que n’ayant pu faire à la patrie l’offrande de mon sang, je lui apporte l’humble tribut de mon témoignage.


I. — LA NEUTRALITÉ BELGE

La Belgique était, de par la volonté de l’Europe, un État neutre. Les grandes Puissances qui avaient reconnu son droit à la vie et qui lui avaient garanti la jouissance de son indépendance nationale lui avaient fait de la neutralité une condition d’existence sine qua non. Et c’était, si les historiens allemands Hildebrand et Treitschke disent vrai, le représentant de la Prusse, Bülow, qui avait eu le premier l’idée de proposer que la Belgique serait neutre et que sa neutralité serait placée sous la garantie des Puissances[1].

La Belgique n’a cessé de respecter les engagements qu’elle avait pris en 1831 et 1839 vis-à-vis des cinq Puissances garantes de sa neutralité. Elle a toujours considéré les traités de 1831 comme la charte constitutive de son indépendance. Elle

  1. Cela est loin d’être établi. On voit au contraire par une lettre que le représentant de la Russie à la conférence de Londres, Matucziewicz, adressait à son gouvernement sous la date du 15 novembre 1830, que la chose, sans le nom, est mise en avant dès lors par ce diplomate, et le 17 janvier suivant, Talleyrand proposait la chose avec le nom dans un projet d’ailleurs trop manifestement inspiré des intérêts français pour être accepté. Comme on pouvait s’y attendre, une fois l’idée réalisée, Talleyrand se vante d’en avoir eu la paternité (Mémoires, t. IV, pp. 16 et suivantes). Quoi qu’il en soit, le rôle du représentant de la Prusse n’aura eu, dans aucun cas, l’ampleur que lui attribuent les historiens allemands, il se sera borné à donner une forme concrète à une idée qui était dans l’air.