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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/10

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seules barrières avec lesquelles l’Église doive désormais compter sont celles que pourra toujours lui opposer la liberté des âmes individuelles, barrières que Dieu respecte comme il respecte cette liberté.

Les bonnes fortunes politiques surviennent rarement comme une grâce : on ne les recueille en général qu’après les avoir méritées ; elles sanctionnent la patience de l’effort et la ténacité des vœux. L’Eglise romaine n’échappe pas à cette loi. C’est après avoir d’elle-même, par des initiatives lointaines ou récentes, commencé de secouer certains jougs, qu’elle a vu la grande guerre achever de les briser. Les victoires du monde latin et du monde anglo-saxon, la prépondérance du droit et les aspirations vers une paix organisée, ont soudainement rapproché de nous certains horizons vers lesquels de longue date l’Eglise s’acheminait : elle travaillait, lentement, patiemment, pour de lointains surlendemains, qui, tout d’un coup, vont devenir le présent. Un coup d’œil sur ces discrets préludes nous montrera dans l’Eglise la première ouvrière de ses propres destinées, et nous éclairera ce qui demeure encore obscur dans les prochaines aurores.


I. — CE QUE L’AUTRICHE AURAIT DÛ ÊTRE : CE QU’ELLE ÉTAIT

Au delà d’Austerlitz, au delà des ruines du vieux Saint-Empire romain germanique, l’Empire des Habsbourg traînait une existence qu’il eût voulue stationnaire, et qu’agitait et qu’ébranlait la marche même de l’histoire. Les archaïques décors dont jusqu’au bout s’enveloppèrent ses destinées perpétuaient l’image pâlie d’un beau rêve : le rêve de la « chrétienté, » le rêve d’un Imperator pacificus, planant sur la diversité des peuples, les harmonisant, les unissant.

Une dernière fois, en 1849, peu de temps après l’avènement de François-Joseph, des lèvres ecclésiastiques formulèrent le beau rêve : les évêques réunis à Vienne, dans une lettre solennelle, définissaient au souverain sa haute mission « de fortifier, de rajeunir, de réunir en une véritable ligue fraternelle les divers peuples groupés autour du trône[1]. » Tel était le programme tracé par l’Eglise ; et voici tout de suite, à

  1. Collectio Lacensis, V, p. 1334.