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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/144

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substitut ou le rival du langage consacré, et de demander au pastel tous les effets de consistance, de relief et d’illusion que l’art, depuis trois siècles, demande à la peinture.

On a dit que ce délicat, voluptueux La Tour se trouvait incommodé par l’odeur de la peinture. Qui le croira ? Mais le pastel venait d’être remis en honneur et de faire fureur, au temps de la jeunesse de La Tour, dans le monde de la Régence. On n’a pas oublié l’étude délicieuse qu’a tracée ici même notre cher Wyzewa [1], de cette Vénitienne qui traversa le Paris de l’agio et de Law, et doucement éclaira les derniers rêves de Watteau. Cette voyageuse était fée. Je n’ai pas à reproduit » : les louanges hyperboliques qu’elle recueillit sur son passage, le concert des admirations qui portèrent aux nues en son temps la Rosalba Carriera. Aujourd’hui, ces admirations nous paraissent excessives. Et cependant, il y a au Louvre une Jeune fille au singe, et quelque part en France une Comtesse Miari avec des modelés noyés dans la lumière, et qui sont des ouvrages de la fille du Corrège. J’ignore s’il est vrai que La Tour, d’ailleurs de trente ans moins âgé qu’elle, se soit écrié que jamais il n’épouserait une autre femme. Mais le fait est qu’il avait chez lui deux tableaux d’elle, et que c’est à son exemple qu’il se fît peintre de pastels.

Pourquoi ? Parce qu’il convenait à cet original d’avoir un procédé qui ne fût pas celui de tout le monde, et qu’il savait que, pour le public, il est bon de mettre sur sa boutique une enseigne attrayante ; peut-être parce que cet autodidacte, qui n’a jamais traîné dans les académies et dont le seul maître fut un graveur, se rend compte qu’il y a, dans le difficile métier de peintre, des mystères qui lui échapperont toujours, faute d’éducation première, et qu’il est trop tard pour apprendre ; enfin, qui sait ? peut-être par un obscur instinct de son génie qui est celui d’un dessinateur et qui, dans le pastel, lui met en main un instrument avec lequel la peinture même ne cesse jamais d’être encore et toujours un dessin.

On connaît par lui l’anecdote, — la seule qui nous renseigne sur ses origines artistiques, et si honorable pour le vieux maître qui lui donna cette leçon ! La Tour, jeune vaurien, arrivant à Paris, bâcle le jour quelques portraits dont le soir il

  1. Voyez la Revue du 15 août 1899.