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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/146

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d’exécution, des triomphes pour le praticien. Y a-t-il dans tous ces tableaux, excepté deux ou trois, comme la Dauphine Marie-Josèphe ou le Xavier de Saxe, autant de « peinture » que dans la plus humble nature morte de Chardin ?

Il va sans dire d’ailleurs que le dessin n’est pas la ligne, et qu’on demanderait en vain à La Tour, comme à tout le XVIIIe siècle, une de ces arabesques, une seule de ces trouvailles jaillies de l’âme comme la plus pure mélodie, et qui font de certains portraits d’Ingres ou de l’Impératrice Joséphine de Prud’hon, quelque chose de comparable aux jeux les plus divins de la miniature persane. La Tour est étranger à cette recherche du parafe, qui apparente le dessin à ce qu’il y a de plus surnaturel dans les œuvres du génie, et qui d’un art d’imitation fait une création d’immortelle poésie.

A le prendre pour ce qu’il est et pour ce qu’il a voulu faire, c’est-à-dire dans les œuvres qui le représentent le mieux, nous voyons un artiste qui, armé de ses pastels, s’efforce d’égaler le langage des peintres et de se rendre maître du réel. Son ambition est de se poser en rival de l’Ecole et de s’annexer, si je puis dire, toutes les parties de l’art : c’est de produire des ouvrages qui n’aient rien à envier à nul autre en fuit de solidité et soutiennent la comparaison avec ceux d’un Rigaud. Il ne néglige rien pour étendre, assouplir, accroître son vocabulaire. On le voit, par exemple, dans le fameux portrait de l’Abbé Huber, allumer dans l’ombre une bougie sur un in-folio, et tenter de dérober ses éclairages et son clair-obscur à Rembrandt. Tentative puissante, mais plus curieuse que réussie : le pastel n’a pas la ressource de dessiner à travers un milieu coloré, de faire circuler l’air autour des objets, de peindre, comme on dit, l’enveloppe, ce qui revient, en peinture, à peindre par-dessus la forme. Le pastel manque ainsi nécessairement de profondeur : il ne peut guère représenter que l’objet tel qu’il est, vu de près, dépouillé d’atmosphère, dénué de ces fluides subtils, de ces impalpables grisailles qui sont le milieu par excellence des relations entre les choses et le domaine du sentiment. La Tour s’en aperçut et ne renouvela plus cet effort. Mais dans les grandes œuvres suivantes son programme s’élargit encore.

Le portrait de la Pompadour, le portrait inachevé de la Dauphine et du duc de Bourgogne, quelques autres portraits