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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/147

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qui ont paru à la vente Doucet ou aux Cent Pastels, comme ceux du Chevalier de Jars ou de Duval de l’Epinoy enfin un chef-d’œuvre capital, longtemps conservé au château de Glisolles et dont la place serait au Louvre, le magnifique portrait du Président de Rieux, représentent La Tour dans sa manière superbe et dans le plus vaste effort que l’artiste ait fourni pour égaler le pastel aux productions de la peinture et pour élever le portrait à la dignité du « tableau. »

A ceux qui ne voient dans La Tour qu’un pastelliste, un fantaisiste, un peintre aimable des grâces légères du XVIIIe siècle et un spirituel génie du « rococo, » je conseillerais d’aller revoir ces fortes pages. Peut-être sommes-nous dupes ici, et La Tour même un peu victime, de son « musée » de Saint-Quentin, c’est-à-dire des études et des esquisses qui le composent. Il y a beaucoup de choses diverses dans cet ensemble : œuvres inachevées, œuvres refusées par les clients, œuvres rendues à l’auteur per l’héritage d’un ami, et enfin, les fameuses « préparations » auxquelles nous viendrons tout à l’heure. Bref, c’était, on le voit, le fonds d’atelier du peintre, donné par celui-ci, comme on sait, pour être vendu au profit de l’École de dessin dont il dotait sa vie natale ; et c’est seulement le fiasco de l’essai de vente de 1815 qui fit renoncer à cette opération et convertir, trente ans plus tard, la collection en « musée. »

Mais n’est-ce pas un travers des amateurs contemporains, que le parti pris de préférer l’esquisse à l’œuvre réalisée ? C’est un goût qui ne règne pas seulement en peinture. ; il ne s’étend que trop jusqu’aux œuvres écrites, poussant à publier les notes, les brouillons, les ratures des grands écrivains, non pas comme des curiosités instructives ou des renseignements sur les secrets de leur métier, mais comme des choses précieuses en elles-mêmes et plus sincères, c’est le mot à la mode, que celles qui ont été signées et avouées par l’auteur. Combien les Pensées de Pascal ne doivent-elles pas de leur popularité, au milieu des ouvrages de l’époque classique, au fait qu’elles nous sont parvenues à l’état de fragments ? En art, ce fétichisme de ce qui est instinctif, c’est-à-dire des traits qu’un auteur donne quand il se néglige, quand il ne s’observe pas et ne se croit pas surveillé, est devenu le fondement de toute une critique, celle de la fameuse école de Morelli.

Telle est notre méfiance présente du raisonnable, tel est