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justesse, mais qu’on n’a plus la force de suivre. » C’est de ce moment sans doute que date le portrait du Louvre dont j’ai parlé, ce portrait d’un La Tour vieilli, vêtu en ouvrier, l’œil fixe sous le front agrandi et les tempes dégradées, ombre de celui qui s’était annoncé par des œuvres si retentissantes, avait connu tant de succès, cueilli tant de sourires. Mais dans la ruine de ses ambitions déçues subsistait cependant le meilleur de son œuvre et, comme on retire des décombres un instrument intact, le peintre sauvait du désastre tout ce qui, dans le pastel, est encore le crayon.


IV. — LE SOURIRE DE LA TOUR

Ce que sont ces fameuses « préparations » de La Tour, gloire du musée de Saint-Quentin, ce sont au juste ses études, les notes dont il se servait pour la peinture de ses tableaux. Il semble avoir rarement fait le tableau définitif en présence du modèle ; il se bornait à enlever en une séance la ressemblance, et peignait ensuite à loisir dans son atelier en ajoutant les accessoires et les habits prêtés par le modèle. C’est de cette manière que procédaient la plupart du temps les peintres d’autrefois ; tel est le cas en particulier pour les célèbres « crayons » attribués aux Clouet. Ils portent dans les marges des indications de couleurs qui n’auraient pas de sens pour un simple dessin. Il en résulte que le dessin, pris sur le vif, est plus direct, a un accent qui s’efface dans le tableau. D’autre part, nous avons vu que le buste de Belle de Zuylen exigea plus de deux mois de séances du modèle ; ce qui n’empêche pas qu’en dehors du portrait de Genève, nous ayons une « étude » qui est à Saint-Quentin.

Ces préparations ne sont donc pas ce qu’on entend par ce mot en langage d’atelier, c’est-à-dire le dessous, l’esquisse d’une œuvre inachevée, et qui serait destinée à être recouverte de peinture. Ce sont des documents, la somme de vérités que l’artiste recueille sur son modèle et reporte sur le tableau. Il y en a donc à peu près de toutes les époques de la vie de La Tour. Quelques-unes représentent des personnages dont le portrait s’est perdu et peuvent parfois servir à le faire reconnaître ; d’autres sont des études de portraits qui n’ont pas été exécutés. Il arrive que le même modèle soit représenté plusieurs fois.