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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/161

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Nous avons deux études de Mme de Pompadour. Plusieurs-ne sont guère que des esquisses balafrées en quelques coups de crayon, d’autres sont des figures très poussées. On a, à des degrés divers d’avancement, tous les « états » d’une œuvre de La Tour. On suit toutes les étapes du travail de l’artiste.

Ce ne sont plus même des têtes : ce sont de simples masques, souvent sans le support même d’un soupçon de col, presque toujours sans cheveux. L’intérêt se réduit encore d’un degré sur les portraits les plus concis, et se concentre exclusivement sur la physionomie. Mais dans ce domaine La Tour est roi. Il lui suffit de cette scène exiguë pour faire éclater son génie. On a pu dire que le décor de la tragédie de Racine, c’était le visage des acteurs. Et en effet, tout le drame et toute la comédie tiennent sur ce théâtre vivant qu’est le visage humain.

C’est ici que La Tour se montre vraiment unique. D’abord, il n’est que dessinateur, il est débarrassé de ce souci de peindre, qui a toujours été son point faible ; débarrassé aussi de ce soin ennuyeux du détail matériel, des chiffons, des rubans, des échelles, parfaits contentements, et autres fanfreluches qui mettaient David hors de lui et ne sont que des caprices de la marchande de modes ; débarrassé enfin de toute préoccupation étrangère à son art. Il est à son affaire, qui est d’observer et de définir.

Notez du reste qu’ayant ainsi déblayé son sujet, il ne s’est nullement affranchi du soin de composer. C’est dans ces petits dessins, plus encore que dans les grands tableaux, qu’apparaît le constructeur. Rien ne ressemble moins à des « impressions, » que ces choses légères et qui semblent faites d’une haleine, d’un givre, d’une buée de pastel à peine colorée. Il n’y a peut-être pas dans l’art un ensemble de leçons d’une pareille rigueur sur la « forme », sur ce que c’est qu’un plan, un volume, une arête, un relief : rien de plus solide, de plus ferme et de plus résistant. L’artiste arrive, on ne sait comment, à modeler sans ombres, à dessiner sans bords, à tout écrire dans la lumière, sans aucun artifice visible, sans autres accents que ceux qui résultent du relief particulier de chaque visage, comme si chacun d’eux était une chose et se suffisant par elle-même, portant en elle ce qu’il lui faut de jour, d’atmosphère et de contrastes. Il procède tantôt mystérieusement par les touches les plus moelleuses et les plus suavement fondues,