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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/19

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Vienne avait tort de ne point s’inquiéter, docteur du passé et docteur de l’avenir, aux pieds duquel ils aimaient à s’asseoir : c’était l’empereur Trajan, bataillant et trônant sur les bas-reliefs d’une colonne. « Que de fois ne l’ai-je pas regardée, cette colonne merveilleuse ! » s’écriera plus tard un de ces clercs, devenu l’un des premiers historiens roumains, Georges Sincai[1].

Ces écoliers du grand empereur, rentrés chez eux, murmuraient jusqu’au delà des Carpathes, jusqu’aux oreilles des Valaques et des Moldaves, l’éclat du nom de Trajan, et les leçons qui se dégageaient de cette lointaine épopée de pierre. Ils parlaient de ce trophée du nom romain comme d’un trophée du nom roumain. Ils aidaient ainsi la personnalité roumaine à se mieux connaître et à se mieux défendre, et préparaient de longue date la déclaration que l’évêque Sulut, premier métropolitain « catholique uni » de Transylvanie entre 1851 et 1867, devait un jour faire entendre sous le joug même de Budapest. « Dans notre cœur, proclamera Sulut, ainsi que dans le cœur de toute nation envers tous les membres de leur nation, on trouve cette impulsion, ce sens surnaturel, par lequel nous aimons nos frères roumains qui habitent dans les principautés danubiennes ou dans n’importe quelle région du monde[2]. »


Durant ces dix-septième et dix-huitième siècles où le latinisme, en Transylvanie, commençait à lutter pour renaître, le slavisme, en Bohême, luttait pour ne point mourir. Le germanisme, en face de lui, faisait parade de force et parade de foi : il se flattait d’avoir vaincu Jean Huss, et s’appuyait sur cette histoire pour inculper d’hérésie le patriotisme bohème. Mais par d’émouvantes fondations, le patriotisme bohème appelait Dieu à la rescousse : il y eut à la cathédrale de Saint-Vit, à Prague, à partir de 1680, deux prêtres officiellement chargés d’implorer de Dieu « le maintien du peuple tchèque ; » et pour que leurs prières fussent ferventes et sûres, ces prêtres devaient être des Tchèques, ou bien des Polonais, ou bien des Croates, ou bien des Slovaques. Ainsi l’avait décidé le bon chanoine

  1. Pompiliu Eliade, De l’influence française sur l’esprit public en Roumanie p. 293.
  2. Jorga, op. cit., II, p. 368.