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Péchina de Tchéchorad, dont la générosité testamentaire avait créé leurs deux prébendes.

C’était un grand savant en histoire morave que ce chanoine, qui vaillamment écrivait, au milieu du dix-septième siècle : (‘Nous autres Bohèmes, Moraves, Polonais, Croates, Russes, Vendes et autres frères du même sang, nous avouons tous unanimement pour notre commune origine l’illustre race slave. » Vers la même date, un autre prêtre prophétisait : « L’heure de joie luira après l’heure de tristesse, et la langue tchèque reconquerra la place qui lui appartient. » Celui-là était un jésuite, il s’appelait Bohuslas Balbin. La censure l’espionnait, s’interposait entre ses manuscrits et l’imprimeur. Il regardait le germanisme s’infiltrer en Bohème :


Aucun peuple, notait-il, n’émigre en aussi grand nombre que les Allemands ; ils arrivent en bandes, et il paraîtrait naturel qu’ils apprissent notre langue. Pas du tout, ils prétendent nous imposer la leur, ils sont coutumiers du fait. Leurs chances de succès seraient nulles, sans la complicité imprévue de beaucoup de Tchèques, qui les favorisent par ambition, par cupidité ou par vanité et sottise, oubliant la parole de Tacite, que c’est une part de la liberté d’être gouverné par les siens.


Vous trouvez résumées, dans ces lignes fiévreuses, toute l’histoire de la germanisation de la Bohême, telle qu’elle se prolongea pendant deux siècles après Balbin, et jusque sous François-Joseph. À ses oreilles, un de ces enragés Allemands clamait que, si l’on pouvait réunir tous les anciens Tchèques dans un sac, il faudrait les noyer. « Quels admirables pasteurs de peuples vous êtes ! ripostait le jésuite. Quel compte n’avez-vous pas à rendre à la patrie et au roi ? Des villes, vous avez fait des bourgs ; des bourgs, des hameaux ; et des villages, un amas de huttes ruinées, où végètent dans la misère des paysans à moitié nus et mourants de faim. » Et son âme se rassérénait en écrivant une apologie de la langue slave, « la seule, en dehors des langues sacrées, qu’emploie le prêtre à l’autel. »

À côté des Jésuites qui traquaient comme des porteurs d’hérésie les livres tchèques du seizième siècle, d’autres Jésuites répandaient par milliers des livres catholiques écrits en tchèque, et préparaient des traductions tchèques des Livres Saints, « Pour nos voisins et même pour beaucoup de nos compatriotes,