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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/210

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caractère religieux et sacerdotal il forme comme un pendant, plus pâle, à l’acte deuxième, liturgique aussi, de Sigurd. Tout ici révèle en Reyer, à défaut d’un grand musicien, un artiste véritable, inspiré, celui que les Boches appellent un « poète des sons, » ou par les sons. Analogues aux cantiques des ministres d’Odin, les litanies des prêtres et prêtresses d’Astarté ne leur sont point inférieures. Je goûte assez l’ensemble de la cérémonie, que domine de haut, tout du haut d’une voix de ténor, la « ballade à la lune » du grand pontife. L’orchestre même, cet orchestre dont Reyer fut loin d’être un maître, est imprégné ici d’un sentiment mystérieux : notes de cor, gammes perlées de harpes, se mêlent à des appels, adoucis et veloutés par la distance, de trompettes sacrées. La musique des scènes qui suivent est belle de cette grâce très sérieuse, très noble, dont Reyer eut souvent l’instinct et trouva l’expression. Elle l’est, plus loin, du trouble étrange, du désir passionné, maladif, qui possède et tourmente jusqu’à l’égarer l’âme de la fille d’Hamilcar. Il y a beaucoup de dignité, de grandeur sereine dans le salut du prêtre, dans tout son dialogue avec son inquiète et nocturne visiteuse, ou pénitente. Chaque réplique, chaque aveu de Salammbô trahit un malaise croissant qui, par degrés, arrive à l’angoisse. La lune, comme bien vous pensez, fait tous les frais de l’entretien. Oh ! cette lune ! cette lune ! « Tanit et le voile, le voile de Tanit ! » Cinq actes d’opéra durant, n’entendre parler que de cela, ne chanter que cela, c’est terrible à la longue. Mais une fois au moins, cette fois, c’est délicieux d’abord et tout à coup c’est magnifique. Tanit, ou la lune, et les ardeurs, lunaires ou lunatiques, de Salammbô ont pour signe sonore, pour « motif, » une phrase d’orchestre élégante, sinueuse, et qui tombe en se déroulant. Au moment où Salammbô, cédant à sa mystique folie, s’élance vers le saint lieu, Mathô, le gigantesque Lybien, paraît sur le seuil, debout, et drapé du voile éblouissant par lui ravi pour elle. La mélodie alors, la même qui tout à l’heure n’était qu’un filet sonore, s’enfle et se précipite en torrent, s’écroule en cataracte. Au-dessus, et très haut, retentit, comme un éclat de tonnerre, la clameur héroïque du barbare. Le son ruisselle ainsi que la lumière. C’est ici le sommet de l’ouvrage. Notre confrère n’avait pas si grand tort : presque du génie, ce jour-là.

« Et ce jour-là, » — si l’on en juge par les trois quarts de l’opéra, — « Et ce jour-là fut court comme une nuit d’été. » Pas si court cependant, qu’il n’ait laissé le temps à Reyer d’écrire encore la rêverie de Salammbô sur la terrasse et ses adieux — un peu mièvres peut-être, un