Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu « romance, » mais d’un sentiment délicat, d’un accent mélancolique et d’un style vraiment pur, — aux colombes fuyant le ciel de Carthage. Le monologue est mêlé de récitatif et de chant. L’un et l’autre ont même noblesse triste, même justesse et, çà et là, même intensité d’expression. La mélodie, ou plutôt la libre, très libre mélopée, dessine ici des lignes souples, flottantes, et la parole, accompagnée ou non, peut-être surtout non accompagnée par l’orchestre, y est notée en notes profondes, qui vont au cœur parce qu’elles viennent du cœur. D’autres notes encore, quelques autres, ne sont pas moins touchantes. Vous les trouverez sur ces mots de Matho prosterné devant Salammbô : « Ne les détourne pas, ces regards radieux. » Pathétique, forte et tendre à la fois, la cantilène fait dans l’incolore duo du quatrième acte une tache de lumière.

Sigurd, ou Salammbô ? C’est une question, assez vaine d’ailleurs, de savoir lequel des deux ouvrages est le meilleur. Que si pourtant il fallait répondre, on déciderait peut-être que Sigurd est plus inégal, avec des beautés éparses, mais frappantes, avec de rudes à-coups, d’une rudesse un peu brutale, mais primitive et pour ainsi dire ingénue. La musique de Salammbô vise ou prétend davantage à la tenue générale et non seulement à l’unité, mais à l’élévation du style. En somme, Reyer a laissé là deux exemplaires authentiques, admirables par endroits, du grand, et même du gros opéra. Quant à Wagner, quoi que jadis on ait pu prétendre, il n’eut jamais rien à voir ici. De mauvais plaisants avaient surnommé Reyer le Wagner du pauvre. Il en serait plutôt le Berlioz. Et encore !

Il avait dit après Sigurd : « Là où sera Mme Caron, là sera Salammbô. » Et ce fut d’abord à Bruxelles. Il est certain que Salammbô n’est plus, ou n’est plus tout à fait, là où n’est plus Mme Caron. La voix de la première Salammbô, sans parler de. son interprétation générale, était étrangement pénétrante ; dans, celle de l’autre il y a quelque chose de perçant. Nous avons également regretté le ténor Saléza, dont le talent fut insigne et la carrière trop brève. M. Franz lui succède, après d’autres, dans le rôle de Mathô. La voix de M. Franz abonde, celle de M. Noté surabonde et M. Ruhlmann conduit l’orchestre avec une sûre énergie.


La Salomé qui parut à l’Opéra ce printemps, après quelques apparitions ailleurs, est, croyons-nous, sur nos scènes lyriques, la quatrième du nom. Elle est seulement dansante. Les trois précédentes, qui chantaient, chantèrent la musique, ou les musiques, — très diverses