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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/22

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Slavons, reçût aussi les Slovènes de la Carniole et de la Styrie : il n’avait pu l’obtenir. Le flot germanique dont Vienne dirigeait les courants s’étendait en incoercibles nappes sur le pays Slovène : et ce fut sans doute l’un des nombreux chagrins de Krijanitch, de redouter qu’un jour la personnalité slovène, à force d’être oubliée, ne perdît elle-même son propre souvenir[1].

Mais cent cinquante ans plus tard, Napoléon, grand éveilleur d’âmes nationales, secoua les Slaves du Sud comme il secouait le reste du monde ; et l’un d’entre eux, s’enflammant, célébra dans un même poème le magicien qui venait d’ouvrir une tombe et le peuple qui lentement en sortait.


« Napoléon a dit : Réveille-toi, Illyrie ! Elle s’éveille, elle soupire : Qui me rappelle à la lumière ?

O grand héros, est-ce toi qui me réveilles ? Tu me donnes ta main puissante, tu me relèves.

Notre race sera glorifiée, j’ose l’espérer. Un miracle se prépare, je le prédis.

Chez les Slovènes pénètre Napoléon, une génération tout entière s’élance de la terre.

Appuyé d’une main sur la Gaule, je donne l’autre à la Grèce pour la sauver. À la tête de la Grèce est Corinthe, au centre de l’Europe est l’Illyrie. On appelait Corinthe l’œil de la Grèce, l’Illyrie sera le joyau du monde »[2].

Dans cette Ode à l’Illyrie ressuscitée, le Habsbourg et le Grand Turc purent lire de futures destinées : elle préparait la Yougo-Slavie, et elle pressentait Navarin. Ce prophète, cet ouvrier d’histoire, était un moine slovène, Vodnik, fondateur depuis 1797 du premier journal populaire qu’eussent connu les Slaves du Sud.

L’Autriche apprit bientôt que le frôlement de nos armes et le lyrisme du moine avaient pour toujours réveillé les Slovènes. En 1814, un petit campagnard qui s’appelait Antoine Slomsek entrait au gymnase de Cilli : il devenait tout de suite un glorieux écolier, et lorsque l’heure fut venue de faire au professeur des compliments de gratitude, le petit garçon parla

  1. Voir l’étude de M. Louis Léger sur Krijanitch, dans Nouvelles études slaves.
  2. Louis Léger, Histoire de l’Autriche-Hongrie, p. 429.