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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/21

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insistait le prêtre Belskowsky, nous sommes du sel dans les yeux et une épine éternelle dans le cœur ; mais j’ai confiance dans les saints patrons, qui si souvent sont venus au secours des Tchèques contre leurs ennemis ; » et lorsque en 1725 ce prêtre mourut, il laissait une œuvre historique dans laquelle le dix-huitième siècle tchèque put se familiariser avec le passé national[1]. Avant que le siècle n’expirât, un autre prêtre, Dobrovsky, ouvrait aux Tchèques d’autres perspectives, non plus dans le temps, mais dans l’espace, en nouant avec les frères slaves de Russie des rapports scientifiques d’où sortit la philologie slave[2].


Que tous les Slaves se connussent et qu’ils se reconnussent, et que peut-être, même, ils ne formassent qu’un peuple, et que ce peuple n’eût plus qu’une seule foi, celle de Rome, voilà la pensée dont se laissait obséder, au milieu du XVIIe siècle, l’imagination laborieuse et tourmentée d’un prêtre croate résidant à Rome, Georges Krijanitch. Il sentait que sa langue était avilie, et s’imposait des « travaux herculéens » pour la réhabiliter, la rajeunir, l’enrichir, et faire du croate un instrument de science. L’œuvre se révélait malaisée. Alors Krijanitch, s’enfonçant en Russie, y promenait un double songe : le songe d’union des Eglises, qu’à Rome même il avait ébauche par un docte résumé des controverses orthodoxes ; et puis le songe d’un idiome panslave, qui emprunterait au russe, au croate, au slavon, toutes leurs richesses, grandes ou menues. En Russie, il connut les tracasseries, l’exil ; mais il ne se découragea ni d’écrire ni de forger une langue pour mieux écrire ; et le livre qui s’intitulait la Politique, et dans lequel s’essayait cette improvisation linguistique, semblait corroborer par ses lointains échos l’offensive du Tchèque Balbin contre les infiltrations des Allemands. « Ils envahissent nos pays, disait à son tour Krijanitch, sous prétexte d’y apporter les arts de la paix et de la guerre, et ils ne trouvent plus le chemin du retour. » Oui, certes, ils envahissaient, et même ils submergeaient. Krijanitch avait demandé que l’hôpital Saint-Jérôme des Illyriens, qui accueillait à Rome Croates, Dalmates, Bosniaques et

  1. Nous devons beaucoup à l’ouvrage de M. Ernest Denis : La Bohême depuis la Montagne blanche, I, p. 361-376.
  2. Louis Léger, La renaissance tchèque au 19e siècle, p. 23.