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c’était bien celle d’un prédicateur. Aussi le Roi s’adressait-il à son prédicateur, non point à son poète comique : le roi n’aimait pas le désordre. Il y a du désordre à vouloir que tout le monde se mêle de toutes choses ; et, n’en déplaise à Veuillot qui n’est pas un homme de désordre, il y a du désordre pourtant à réunir, pour les juger, Molière et Bourdaloue. Veuillot ne peut souffrir Tartuffe ; il accuse Molière de fourberie, n’admet pas qu’on distingue la vraie et la fausse dévotion : du moins, il n’admet pas que Molière ait bien distingué l’une et l’autre. Molière avait, dit-il, le « parti pris de diffamer la piété : » l’imposteur, c’est Molière. Après cela, glorifiez Molière : vous êtes « de vains et ridicules rhéteurs, esclaves de la popularité du mal ; » entassez vos « phrases farcies d’adjectifs pour faire un piédestal de courage à ce flatteur, une couronne de franchise à ce menteur, une renommée de vertu à ce corrupteur. » Veuillot, ce n’est pas bien !

Le siècle des philosophes, c’est là que Veuillot ne manque pas d’ouvrage. Il n’épargne personne... « Une vanité rare, un égoïsme triomphant, des mœurs ignobles à travers beaucoup de pompe, un esprit grossier, une hypocrisie raisonnée, raffinée et persévérante ; en un mot, l’un des plus répugnants hypocrites que contienne le Panthéon des libres penseurs, » qui est-ce ? M. de Buffon, tout, simplement. Et, si Veuillot traite ainsi le malheureux Buffon, c’est qu’il a pris toute son information dans le pamphlet, si amusant d’ailleurs, du frivole Hérault de Séchelles. Et, s’il traite ainsi Buffon, comment va-t-il arranger de bien autres fils de Caïn, Rousseau et Voltaire ?

Il vous concède volontiers que ce Voltaire était un écrivain très habile. Mais il lui reproche sa philosophie anticatholique et antifrançaise. Anticatholique, on le sait à merveille. Antifrançaise, il est évident que les badinages de Voltaire relativement à la bataille de Rosbach ne sont pas d’un bon patriote. Et Sainte-Beuve, qui est si dur, implacable même, pour Talleyrand, n’a plus de sévérité pour Voltaire ? Talleyrand « peut avoir commis le plus grand crime, puisqu’enfin il abjura son sacerdoce : mais le vil et obstiné coquin, le menteur, le souilleur, le haineux, le lâche, c’est Voltaire. » Bien !... Mais il avait de l’esprit : c’est le moins qu’on lui accorde ?... Veuillot répond, sans plaisanter : « Il est à peu près de foi, par déduction, que les libres penseurs, ne peuvent pas avoir complètement Ce qui s’appelle de l’esprit. » Mais Voltaire ? « Voltaire ? Voilà un homme d’esprit, n’est-ce pas, et une réputation incontestée ? Voltaire néanmoins est un sot... Voltaire fut un véritable sot, qui travailla, vécut et mourut sottement. »