Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les personnes que cette opinion dérouterait sont priées de se rappeler que Tertullien ne craint pas de nommer « sots éternels » Aristote et Platon.

Veuillot, qui exècre Voltaire, le préfère encore à J.-J. Rousseau. Celui-ci : « c’est ma bête noire. Tous mes instincts se piètent contre lui. Il me répugne dans ses raisonnements, dans ses sentiments, dans ses agréments. Ce Rousseau est l’effronterie incarnée, l’ingratitude incarnée, l’emphase incarnée. Il est sale. Il est de cette nature de domestiques qui souillent les maisons. Je n’admire rien de ce qu’il a dit, j’ai le dégoût de tout ce qu’il a fait. Quand il est dans le vrai, j’attends qu’il en sorte. Je ne le plains d’aucun de ses malheurs. Il a couru après toutes ses disgrâces, et toutes sont de légitimes punitions ou de sa bassesse ou de son orgueil. Le vilain être, avec son habit arménien, sa sonde, sa Julie, sa Thérèse, ses pleurs, sa pose, son droit de cité dans Genève, sa noire et méchante folie ! » Eh ! bien, ce n’est pas juste.

Veuillot qui n’épargne pas les morts, voyons-le parmi ses contemporains : c’est là qu’on est injuste le plus facilement.

Que Victor Hugo ait du talent, Veuillot ne dit pas non. Même, il l’appelle « le premier parmi les poètes de ces jours-ci ; » et, s’il ajoute : « qui sont, sous ce rapport, de tristes jours, » une autrefois il reconnaît le génie de Victor Hugo. Certains poèmes des Contemplations lui arrachent ce compliment : « Il n’y a pas de plus beaux vers dans la langue française, ni dans la langue chrétienne. » Seulement, Victor Hugo fait d’habitude le pire usage de son génie ; et Veuillot lui reproche cinq défauts ou péchés : l’orgueil, la haine, l’esprit d’anarchie, l’obscénité, le blasphème. Quant à l’obscénité de Victor Hugo, peut-être sait-on par cœur la chanson de Doña Sabine : le roi disait à son neveu que, pour un sourire d’elle, pour un regard, pour un cheveu, il donnerait l’Espagne et le Pérou. Évidemment, ce n’est pas d’un roi très sérieux ; mais enfin, l’on a pu lire et peut-être chanter cette romance avec une étourderie innocente. Veuillot se fâche et crie au scandale : « Or, dit-il, quand M. Hugo chantait ainsi, il était père de famille, et nous le savions ! » Conclusion : « Le sentiment que M. Hugo nous inspire ne ressemble en rien à la haine et nous ne lui souhaitons qu’une chose : c’est de faire meilleur usage, pour lui-même et pour la patrie, du don qu’il a reçu de Dieu ; » car « le spectacle est triste au chrétien de voir le génie avorter dans le cœur ingrat de l’homme. » Déranger, poète impie et ordurier, « a fait le mal, sachant qu’il le faisait, voulant le faire. « Il est « le poète de l’orgueil envieux. l’Horace des commis-voyageurs,