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pour la géographie politique elle-même, un puissant agent de transformation ; et les publications de l’Académie de Zagreb, qui devaient à la fin du siècle dépasser trois cents volumes, attestaient à l’univers savant que dans ce coin du bassin danubien une science nouvelle était née, éducatrice d’une conscience.

Strossmayer, inaugurant en 1867 cette Académie qui était vraiment la fille de son âme, avait voulu tenir un crucifix dans sa main : c’est à l’ombre de la Croix que la science croate naissait, que la conscience croate renaissait. En vertu même de sa dignité d’homme d’Eglise, il se réputait préposé à une façon de service national. Il existe de lui une lettre à Gladstone, où le prélat souhaite une place, même modeste, à la table du Congrès de Berlin : « défenseur divinement désigné[1] » de la Bosnie, de l’Herzégovine, il eût voulu parler là, pour elles, au milieu des puissants du monde. Ainsi l’Eglise réapparaissait, maternellement ambitieuse, auprès de la seconde jeunesse de ces peuples, comme elle avait, dans le haut moyen-âge, veillé sur la première.

N’était-elle pas demeurée, dans les siècles les plus ingrats, la diligente dépositaire de leurs traditions, de leurs chansons, de leurs poèmes ? Jusque chez les Dalmates, jusque chez les Bosniaques, des moines avaient surgi, un Kacic au XVIIIe siècle, un Matas au XIXe, d’autres encore[2], pour confier à l’impression ces précieuses reliques orales ; et le gouvernement de Vienne, du temps où Schmerling était ministre, avait failli faire aux Franciscains de Dalmatie un fort mauvais parti, parce que leur Père Matas montrait trop de piété pour le passé, et que les élections dalmates s’en ressentaient. Somptueux héritier de tout ce discret labeur, et conscient de ce que son peuple devait à son Église, Strossmayer unifiait en lui l’évêque et le patriote croate, sous le panache de sa devise : « Tout pour la foi et la patrie. »


III. — LIBERTÉ DES PEUPLES ET UNION DES ÉGLISES

« C’est dans les séminaires, résumait en 1867 Émile de Laveleye, que le mouvement des nationalités a puisé cette

  1. Strossmayer à Gladstone, 13 février 1878 (loc. cit., p. 433-436).
  2. Léger, Serbes, Croates et Bulgares, p. 47 et 65-71. — Schemastismus provinciae Sanctissimi Redemption in Dalmatia, ordinis Fralrum, pro anno 1898, p. 36-37 et 46-49.