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l’Occident, entre l’Eglise grecque et l’Église romaine, entre Byzance et le Saint-Empire ; elle saurait « reconnaître, et puis atténuer les conséquences lamentables d’une telle dualité, et réunir en un même amour les fils trop longtemps désunis[1]. »

N’avaient-il pas, d’ailleurs, commencé de s’aimer ? Dans les années qui suivirent Sadowa, la popularité de Strossmayer en Serbie était immense ; son effigie décorait les chaumières, et les paysans disaient : « Ah ! si l’Évêque savait, il donnerait de bons conseils à notre prince qui les écouterait ! »[2] Ne relevant pas de sa crosse, séparés de Rome, ils mettaient pourtant je ne sais quoi de filial dans ce mot : l’Evêque. Sans céder aux vertiges de l’illusion, sans méconnaître les prodigieuses difficultés de l’action, Strossmayer et Racki concluaient qu’il fallait que les Eglises se rapprochassent, et qu’elles se connussent mieux, pour que la notion divine de l’humanité, un seul troupeau sous un seul pasteur, fût un jour réalisée. La souveraineté même qui, dans un discours de Palestine, avait ainsi défini l’humanité, saurait aider, au jour venu, le bon vouloir des Eglises, si les Eglises s’aidaient elles-mêmes.

Mais ici s’interposait une autre souveraineté, celle de la Majesté apostolique. Dans ces rêves d’union, dans ces visées d’apostolat, tout devait déplaire aux gouvernements de Vienne et de Bude. Les divisions confessionnelles étaient pour eux un avantage politique. « Spéculer sur l’existence de la frontière religieuse, écrivait excellemment M. Charles Loiseau, et la marquer d’un trait plus fort chaque fois qu’ils en trouvaient l’occasion[3] : » telle était leur tactique constante, inflexible. Cela leur agréait et cela les servait, que la diversité des confessions créât un divorce entre les Roumains unis de Transylvanie et les Roumains d’au delà des Carpathes, entre Croates unis et Serbes orthodoxes, entre Slaves d’Autriche et le slavisme russe. Ils aimaient cette perpétuité des barrières, qui pouvait opposer à certains mouvements d’attraction fraternelle un sérieux contrepoids. Telle photographie, sur laquelle le fondateur du parti croate en Dalmatie, Pavlinovic, était représenté les mains dans les mains d’un pope, inquiétait les bureaucrates par son éloquente diffusion : en cette image, on était prompt à voir un

  1. Zagorsky, op. cit., p. 124.
  2. Léger, Le monde slave, I, p. 133.
  3. Loiseau, Le Balkan slave et la crise autrichienne, p. 208.