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symbole de ce que l’État des Habsbourg haïssait le plus, un symbole d’union.

De par la doctrine joséphiste qu’on avait cessé d’arborer en principe, mais qu’en fait on pratiquait toujours, un Strossmayer ne devait être rien de plus qu’un fonctionnaire de l’État dans l’Église : que pouvait penser Vienne, dès lors, de ces aspirations missionnaires, qui se refusaient à capituler devant les suspicions conservatrices de l’État ? Strossmayer se permit un jour une affable dépêche à l’adresse d’un comité orthodoxe de Kief, qui fêtait le millénaire des saints Cyrille et Méthode : François-Joseph se fâcha, et fit au prélat la plus violente des algarades ; peu s’en fallut que ce geste de fraternité chrétienne ne fût interprété par les exégètes du Ballplatz comme une demi-trahison au profit du panslavisme russe. La destinée qui accumula sur François-Joseph tant de tristesses tragiques eut pour lui, semble-t-il, un raffinement de cruauté, en l’acculant à cette politique soupçonneuse, anxieuse, qui volontiers considérait comme une ébauche de sédition l’élan des âmes vers l’entr’aide, vers l’amour, vers l’union. Mais François-Joseph ne se rendit sans doute jamais compte qu’il y avait là, pour lui, quelque chose de cruel.

Strossmayer impénitent ne croyait pas, lui, que ce fût une attitude délinquante, de souhaiter l’union et de prêcher l’amour. « Slaves, mes frères, écrivait-il en 1880, vous êtes évidemment appelés à accomplir de grandes choses en Asie et en Europe. Mais vous ne parviendrez à remplir votre mission à l’avantage des autres peuples et de vous-mêmes, vous ne mettrez fin aux dissentiments qui vous divisent, que si vous vous réconciliez avec l’Église occidentale en concluant un accord avec elle. » Justement Léon XIII, dans son encyclique sur les saints Cyrille et Méthode, frappait à la porte des âmes slaves ; dans son mandement de carême de 1881, Strossmayer commentait :


Nous vivons côte à côte avec des frères du rite oriental. Soyons donc pour eux pleins de charité et de bonté, et souvenons-nous que la preuve la plus éclatante de la vraie foi, c’est la charité pure et bienfaisante, souvenons-nous que la charité est cette force qui domine tout, à laquelle personne ne peut résister. Aimons sincèrement les frères avec lesquels nous vivons, non pas seulement parce qu’ils sont de notre sang et de notre nation, et qu’ils ont le même