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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/284

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cette encyclique l’offensait. Pie X alors dut faire savoir au ministre de Prusse que de sa propre initiative, par des motifs de prudence, il avait donné les instructions nécessaires pour qu’on s’abstînt de publier, dans les chaires et bulletins diocésains de l’Allemagne, l’encyclique incriminée.

Quelque temps après, le gouvernement de Guillaume II faisait excepter l’Allemagne d’une loi qui visait l’Eglise universelle. Il y allait, aux yeux de Pie X, de la défense même du dogme : le serment antimoderniste, imposé aux membres de l’Eglise enseignante, en sauvegardait l’intégrité. Mais de par la volonté de la Prusse, il y eut une catégorie d’ecclésiastiques que la Papauté dut libérer de cette exigence, et ce furent ceux-là mêmes qui l’avaient parfois si douloureusement inquiétée ; ce furent les professeurs de théologie des universités allemandes. Devant les sommations de la souveraineté berlinoise, il avait donc fallu que Pie X, humiliant sa réputation même d’inflexibilité, voilât les arrêts d’un verdict historique et réduisit les exigences d’une disposition disciplinaire.

La souffrance pour lui fut cruelle. Moins fier pour son Dieu, moins humble pour lui-même, il eût peut-être déguisé ces demi-capitulations sous les dehors d’une combinaison, et concerté cette défaite comme on concerte une habileté. Mais il aimait mieux, lui, avouer que l’Allemagne le faisait souffrir, d’une souffrance qu’il subissait malgré lui. « La nation qui me cause le plus de peine, disait-il au début de 1914, c’est l’Allemagne[1]. » L’influence dissolvante du césaropapisme berlinois s’insinuait lentement dans certaines couches profondes du catholicisme allemand ; publicistes et fidèles s’accoutumaient doucement à voir Berlin déterminer ce que Rome en Allemagne avait le droit de dire et ce qu’en Allemagne elle avait le devoir de taire., Et Pie X augurait sans doute, en ses derniers jours, qu’avec l’omnipotente souveraineté des bords de la Sprée, l’Église Romaine pourrait connaître de lourds ennuis.

Mais lorsque cinq ans plus tard Benoît XV jette les yeux sur le monde, il cherche du regard les puissances temporelles qui prétendaient, au nom même de la place qu’elles tenaient sur la carte, parler et agir comme si elles avaient effectivement charge d’âmes et droit sur les âmes : la place est vide, elles

  1. René Bazin, Écho de Paris, 11 avril 1915.