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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/289

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terre et éclater les volcans. Voilà le symbole parfait de la Pologne, poursuivait Montalembert ; chaque mouvement de son cœur héroïque ébranle l’Europe[1]. » Cela devait finir par une résurrection : Louis XVIII lui-même, là-dessus, pensait comme Lamennais, et Louis-Philippe comme Michelet[2].

On estimait et on admirait cette âme polonaise, si longuement fidèle à ses propres souffrances, et qui souffrait sans pouvoir mourir ni vouloir mourir. Aux heures critiques des conflits européens, on tâchait même d’avoir l’alliance de cette impuissance auguste ; on lui faisait l’honneur de la traiter comme une puissance. L’Europe de 1812 voyait Napoléon et Alexandre se disputer l’adhésion de la Pologne, soucieux qu’ils étaient, l’un et l’autre, d’ « enrôler une grande force morale[3]. » L’Europe de 1914 entendait la Prusse, l’Autriche, le Tsarisme, faire à la Pologne des avances, qui n’avaient pas toujours la valeur de promesses, mais qui reconnaissaient implicitement son droit à une vie nouvelle, à quelque chose de plus, même, qu’une survie.

« La question de Pologne, c’est la première, la plus éminemment européenne ; » c’est Talleyrand qui disait cela, au moment du Congrès de Vienne, et il le disait à Metternich. Malheur pourtant à l’âme polonaise, si elle se permettait de soulever elle-même cette question, en se soulevant ! Des prophètes alors surgissaient, et c’étaient des consolateurs ; tout enfiévrés par le martyre national, ils annonçaient que le renouveau de la Pologne marquerait un renouveau de l’humanité tout entière. Talleyrand comprenait peu, et Metternich moins encore. « Comme à la résurrection du Christ les sacrifices humains cessèrent sur toute la terre, vaticinait Mickiewicz, à la résurrection de la Pologne, les guerres finiront dans la chrétienté[4], « Ces prophètes trouvaient des croyants ; l’idée se propageait qu’en même temps que la Pologne renaîtrait, un grand ordre de choses naîtrait. « Dors, ô ma Pologne, dans ce qu’ils appellent ta tombe ; moi, je sais que c’est un berceau. » Il fallait être un Lamennais pour savoir, d’un même mot, agiter et bercer ce tragique sommeil. Le romantisme humanitaire

  1. Montalembert, Discours du 21 janvier 1847.
  2. Lecanuet, Montalembert, I, p. 215. Paris, 1895.
  3. Le mot est d’Albert Vandal.
  4. Mickiewicz, Question polonaise et opinion italienne, p. 28.