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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/292

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à Pie IX le gouvernement d’Alexandre II, demeuraient lettre morte ; et devant un autre consistoire où l’on canonisait un martyr, Pie IX, en 1864, faisait à son tour retentir, au nom même de ses responsabilités, l’ampleur de ses protestations.

La Pologne alors était abominablement torturée ; en Europe la presse s’agitait, les brochures se multipliaient, mais les souverains se taisaient. Pie IX rompit leur silence :


Je ne veux pas, déclarait-il, être forcé de m’écrier un jour, en présence du juge éternel : Vae mihi quia tacui ! La fête d’aujourd’hui me rappelle que, de nos jours aussi, il est des martyrs qui meurent et souffrent pour leur foi… Un potentat, qui s’appelle catholique d’Orient, opprime et tue ses sujets catholiques, poussés par ses rigueurs à l’insurrection. Sous prétexte de réprimer cette insurrection, il extirpe le catholicisme, il déporte des populations entières dans les contrées les plus septentrionales, où elles se voient privées de tout secours religieux, et les remplace par des aventuriers d’autres religions. Il persécute et massacre des prêtres, il relègue les évêques, et, tout hétérodoxe qu’il est, il dépouille de sa juridiction un évêque légalement institué… Et que personne ne dise qu’en m’élevant contre le potentat du Nord je fomente la révolution européenne : je sais bien distinguer de la révolution le droit et la liberté raisonnables, et si je proteste contre lui, c’est pour soulager ma conscience. Prions donc le Tout-Puissant d’éclairer le persécuteur du catholicisme et de ne pas abandonner les victimes qui, condamnées par lui, périssent au milieu des déserts glacés sans avoir le moyen de se réconcilier avec Dieu.


Ainsi protestait et priait Pie IX ; et devant le Parlement de Turin, un député du nom de Brofferio, connu pour aimer peu les prêtres, avouait très simplement :

Quand je vois un vieillard fatigué, malade, sans ressources, sans armée, sur le bord de sa tombe, maudissant un potentat parce qu’il égorgeait un peuple, je me sens ému dans tout mon être, je me crois reporté au temps de Grégoire VII, je m’incline et j’applaudis.


Serait-il donc vrai que les esprits libéraux du XIXe siècle étaient également prompts à se rebeller contre le spectre de la théocratie, tel que l’avaient forgé les pamphlétaires du XVIIIe, et puis à s’incliner, avec des applaudissements, devant des gestes de théocrate, dès qu’un pape, sous leurs yeux, s’en permettait l’audace ?