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III. — L’ÉGLISE ET L’AME POLONAISE. — LA RESURRECTION.

Soutenue par ces paroles de papes, la Pologne espérait, sans raisons politiques d’espérer. Elle s’apprêtait à souffrir aussi longuement qu’il le faudrait. Elle se réputait une martyre, mais non point une morte. Elle introduisait dans l’usage de ses malheurs la philosophie catholique de la souffrance ; elle transformait ses désastres en une vocation. Et plus l’Eglise regardait souffrir ce peuple, plus elle le sentait sien. Garibaldi pardonnait mal aux Polonais leur catholicisme : « Cessez, leur écrivait-il, de donner à votre lutte héroïque un caractère religieux, qui éloigne de vous les sympathies et provoque contre vous les réactions sanglantes[1]. » La Pologne affrontait les réactions. sanglantes et gardait son âme.

Montalembert, en 1830, au moment où il songeait à partir pour Varsovie comme volontaire de l’Eglise et des peuples, avait félicité les Polonais de montrer au monde ce qu’était cette foi catholique que l’on reléguait au tombeau, et ce que le monde pouvait attendre d’elle pour sa liberté. Même aux heures où « le cheval du cosaque baignait ses pieds dans le sang des fils de Sobieski, » ceux-ci demeuraient les témoins de ce que valait et de ce que pouvait la conscience catholique pour la libération des peuples[2]. Advint dès lors que pourrait ; ils avaient fait ce que devaient. C’était certes un rôle austère ! mais la Pologne l’acceptait, et savait gré à Montalembert de l’en avoir solennellement investi. « La tribune quand vous y montez, lui écrivait plus tard le Poète anonyme, se change en une espèce de chaire spirituelle, et je ne sais quel souvenir de l’Eglise du moyen âge, foudroyant les tyrans et délivrant les nations, apparaît tout à coup à l’âme entraînée[3]. »

Et le Poète anonyme, commentant à son tour la prédestination de son peuple, la faisait consister à « introduire à force de douleurs l’esprit de l’Evangile dans les choses de ce monde, » à « démontrer aux incrédules et aux Pharisiens de la politique, qui depuis des siècles n’ont cessé de recrucifier le Christ sur toutes les croix de l’histoire, que toute nationalité est chose

  1. Montalembert, Correspondant, mai 1864, p. 10.
  2. Lecanuet, Montalembert, I, p. 214.
  3. Œuvres du Poète anonyme de la Pologne, II, p. 340. Paris, 1869.