Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux atteindre le polonisme, et de trouver dans ce surcroît de malheurs la preuve nouvelle, et cruellement attachante, d’une flatteuse identité.

Ainsi se prolongeait l’immortalité des espérances polonaises : il semblait qu’elle s’étayât sur l’éternité même de l’Église, et qu’elle les enlaçât à des certitudes qui venaient de l’au-delà ; et pareille à « cette sainte du temps des croisades qui, lorsque son époux partait pour la guerre, prenait des habits de veuve pour ne les déposer qu’à son retour, la Pologne estimait que son veuvage ne serait pas éternel. »[1]. Henri Lasserre, l’historien de Lourdes, disait d’elle, il y a un demi-siècle, qu’elle ne pouvait parler religion sans réclamer en même temps la vie politique[2]. Et comme elle voulait continuer de parler religion, elle aspirait, de plus en plus tenacement, à être libre.

Il n’a pas dépendu des Puissances germaniques qu’une fois encore, en 1918, ces aspirations n’avortassent. L’Autriche, dans l’éphémère traité de Brest, jetait complaisamment à l’Ukraine la vieille province de Chelm, qui en 1875 avait héroïquement souffert pour sa foi polonaise et catholique. Au Reichsrat de Vienne, le président du club polonais stigmatisait ce traité, qui s’inspirait, disait-il, de « l’esprit du militarisme prussien et de la fourberie impuissante de la diplomatie autrichienne de la vieille école ; » et devant le Landtag de Prusse, le député polonais Korfanty constatait ironiquement : « Il était réservé au gouvernement de Sa Majesté Apostolique, de trafiquer de ce pays catholique, de le livrer à l’orthodoxie russe pour un morceau de pain[3]. » Le commissaire de l’hetman ukrainien Skoropatsky, un bon allié de la Prusse, signifiait à l’âme polonaise ses destinées :


La fin de la Pologne est, de toute manière, inévitable : à ma requête, toutes les écoles polonaises ont été fermées, et il viendra une fin aussi pour les prêtres. La force est à nous, car les Allemands sont avec nous… La religion d’État en Ukraine sera notre vieille foi orthodoxe[4].

  1. Montalembert, Correspondant, août 1861, p. 826.
  2. Lasserre, La Pologne et la catholicité, Paris, 1862.
  3. Nouvelles religieuses, 1er mai 1918, p. 282-285 .
  4. Lebreton, Études, 15 octobre 1918, p. 136.