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ainsi une sorte d’observatoire, d’où s’élargissaient les perspectives sur l’ensemble des destinées de la race slave, en présence même du Dieu qu’on implorait[1].

C’est donc en vain que l’Autriche, par la plume massive du baron Hussarek, ministre de l’Instruction publique, avait, au cours de la guerre, dans un style authentiquement joséphiste, défini le devoir qui s’imposait aux membres de l’épiscopat, de se comporter vraiment en évêques autrichiens. Mgr Endrici, prince-évêque de Trente, suspect de partager le patriotisme italien de ses diocésains, était spécialement favorisé de ces remontrances gouvernementales, qui d’ailleurs finirent, pour lui, par un mandat d’arrêt. « Le fait pour un évêque, lui écrivait-on de Vienne, de se limiter à ses fonctions ecclésiastiques et à une pure objectivité qui laisse se développer un programme de nationalisme extrême sans opposer à ce programme, avec la fermeté la plus pressante, le point de vue autrichien, ne saurait être apprécié et qualifié que comme une attitude incompatible avec la haute position d’un prince de l’Eglise autrichienne. » Mgr Endrici repoussait cette phraséologie germanique, il repoussait la demande qui lui était faite de démissionner, il repoussait les honneurs et les titres que Vienne lui proposait en échange de sa mitre. Sous les derniers piétinements du joséphisme, l’Eglise italienne d’Autriche, tout comme l’Eglise tchéco-slovaque, tout comme l’Eglise yougo-slave, se dérobait à la façon d’un terrain mouvant ; elle ne permettait pas d’être maître chez elle, à un État qui n’était même plus maître chez lui.

Il en était de même, en Transylvanie, des Roumains unis à Rome ; bien que le Père Lucaci, qui depuis un quart de siècle jouait parmi eux le rôle d’un Wetterlé eùt été contraint par la guerre à s’éloigner d’eux, leurs consciences étaient trop spontanément soumises à certaines disciplines de fierté, pour que la liste de trois noms qu’ils dressaient en vue de la nomination d’un archevêque fût conforme aux souhaits impérieux du comte Tisza. Celui-ci pouvait bien, par de savantes manœuvres, amener les Roumains de l’Église orthodoxe, à la veille même de

  1. Sur le rôle du clergé dans le mouvement national yougo-slave, voir Gauvain, La question yougo-slave, p. 83-91 ; les Nouvelles religieuses, 1er et 15 janvier 1919 ; et l’article très documenté de M. André Gabriac dans la Revue du clergé, français du 1er février 1919.