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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/306

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leur émancipation politique, à installer à la tête de leur Église un prélat magyarisant ; mais les Roumains de l’Eglise unie gardaient une tenue d’âme contre laquelle le magyarisme ne pouvait prévaloir.

Pour donner aux gouvernements de Vienne et de Pest une ultime satisfaction, ces clergés tchèque et yougoslave, italien et roumain, auraient dû s’immobiliser dans la rigide lisière des réglementations archaïques et dans une servile déférence à l’endroit d’un passé qui leur avait apporté beaucoup d’oppression sous les pompeuses apparences d’un peu de respect. Arrière-garde stationnaire et timide, ils eussent dû laisser évoluer l’histoire, laisser marcher le monde et rester à l’écart, tandis que les peuples, sans eux, progresseraient et vaincraient. Mais il n’était pas dans les destinées de l’Autriche d’imposer à l’Eglise ce suprême préjudice : les Korosec, les Jeglic, les Endrici furent au contraire des hommes d’avant-garde ; leur science d’agir, fécondée, lorsqu’il le fallait, par leur vaillance à souffrir, sut mêler intimement l’Eglise à ces renouveaux d’espoir national dont leurs diocèses offraient le spectacle, et dont l’Europe allait enregistrer et ratifier le triomphe. À côté de ces peuples qui retrouvaient une jeunesse et une joyeuse fraîcheur de vie, la vieille Eglise se dressait comme une institutrice et comme « ne compagne de réveil ; elle n’avait jamais cessé d’être avec eux, d’être à eux.

Leurs principes politiques, conformes à cet esprit démocratique que l’historien Procope relevait déjà chez les Slaves du VIe siècle, n’étaient pas pour l’épouvanter : trois quarts de siècle avant Léon XIII, elle avait fait un pape de cet évêque d’Imola, qui écrivait à ses diocésains : « Le gouvernement démocratique ne répugne pas à l’Evangile et exige au contraire ces vertus sublimes qui ne s’acquièrent qu’à l’école de Jésus-Christ ; soyez bons chrétiens, et vous serez d’excellents démocrates[1]. » Et quant aux aspirations nationales qui triomphaient avec ces principes, les noms, lointains ou récents, des Balbin et des Krijanic, des Micu et des Slomsek, des Strossmayer et des Racki, attestaient que, loin de courtiser aujourd’hui le succès, l’Eglise ne faisait que prolonger, à l’endroit de ces peuples définitivement victorieux, certains gestes précurseurs.

  1. Comte d’Haussonville, L’Eglise romaine et le premier Empire, I, pièces justificatives.