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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/31

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Rome à l’égard de leur vieille langue liturgique[1]. Halte-là ! dit la Hongrie, et Strossmayer dut renoncer à cette joie. Mais en Dalmatie, l’agitation pour la liturgie slave allait croissant : ce « paléoslave, » monument auguste de l’antique culture religieuse et nationale, causait grande peur aux préfets de l’Autriche. Eux et les diplomates multiplièrent les intrigues, mirent les évêques aux prises les uns avec les autres, et les curés aux prises avec les évêques s’appuyèrent sur le nonce Galimberti contre la secrétairerie d’État, pour retarder dans les congrégations romaines les solutions larges et nettes que la politique de Léon XIII eût comportées[2].

Contre les tendances du Pape, l’Autriche se faisait une arme du péril russe. Prenez garde, disait-elle : ces populations chez lesquelles vous laisseriez se réacclimater les rites de l’Orient perdraient le sentiment des diversités qui les séparent des Eglises russes ; en les faisant parler à Dieu comme lui parlent les schismatiques, vous les laisseriez s’habituer à penser comme ils pensent. Les colis de missels paléoslaves, que Léon XIII faisait imprimer à ses frais dans les ateliers de la Propagande, et qu’il destinait à certains évêchés de l’autre versant de l’Adriatique, montraient que le Pape demeurait inaccessible aux objections de l’Autriche. Mais sur le trajet même de ces colis, l’Autriche savait mettre des obstacles ; elle avait des artifices pour qu’ils se perdissent, ou bien pour qu’ils ne partissent point ; elle créait des complications épineuses ; elle était, depuis le joséphisme, trop maîtresse de la prière, trop maîtresse du culte, pour permettre que la vieille liturgie slave, même théoriquement protégée par Léon XIII, eût en terre des Habsbourg une vie facile. Elle essayait d’éteindre les sourires de l’Eglise romaine à l’endroit du monde slave, ou tout au moins d’en obscurcir l’éclat : elle voulait un fossé, là où Léon XIII voulait un pont. Mais la glorieuse lettre Præclara, que le Pape, en 1894, adressait aux princes et aux peuples, retentissait à travers l’Europe comme une invite à l’union : entre les maximes de l’Empire apostolique et celles de l’apostolat romain, le contraste prenait rapidement une allure de conflit.

  1. Léger, La Save, le Danube et le Balkan, p. 17.
  2. Documents dans Crispolto Crispolli et Guido Aureli, La politica di Leone XIII da Luigi Galimberti a Mariano Rampolla, p. 295 et 475-330.