Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau : « Y a-t-il une âme derrière ce visage, et laquelle ? »

Il s’agit d’un portrait, peint à la fin du XVe siècle, par Ambrogio de Prédis selon les uns, par Bernardino de’ Conti selon les autres, et représentant Bianca Maria Sforza Visconti, femme de l’empereur d’Allemagne Maximilien Ier, lequel portrait se trouve maintenant au Louvre, dans la salle consacrée à la collection Arconati Visconti, touchant la salle Thiers, sous le numéro 5. C’est un des meilleurs morceaux de cette collection si l’on se place au point de vue esthétique et, au point de vue historique, le plus suggestif.

Il est posé de profil gauche, coupant, sans aucune inflexion, avec l’air de regarder attentivement quelque chose en dehors du cadre : — tels les portraits de Béatrice d’Este, au Pitti ou à la Brera, de l’autre Bianca Sforza, à l’Ambrosienne, et de la plupart des Milanaises de cette époque. Le modèle a eu affaire à la même modiste et sort des mains de la même coiffeuse, comme on peut s’en assurer sans quitter le Louvre, si l’on regarde le buste de Béatrice d’Este, qui est au rez-de-chaussée, dans la salle dite de Michel-Ange, et la Belle Ferronnière , que les hasards de la guerre ont amenée dans une salle voisine. Les cheveux sont plaqués sur la figure comme un bonnet qui clôt exactement le visage, drapant les tempes, les oreilles, presque toute la tête, depuis le coin des sourcils jusqu’à la nuque blanche, qu’ils laissent nue, et là, subitement rassemblés, ils s’étranglent et tombent derrière le dos en un long boudin rigide, le cuazzone des Milanaises.

La seule particularité de cette coiffure est qu’elle est frisée et dentelée sur les bords, et que la mèche détachée de « petits cheveulx branslans doulcement à l’air qui pendent comme petites houpettes de bonne grâce, » selon le conseil de Pietro Bembo, en ses Asolani, n’est pas déroulée et ondoyante, comme d’ordinaire, mais projetée et rigide, telle une aigrette renversée. Le front est ceint d’un fil noir, formé par des perles de jais, qui fait le tour du crâne : c’est la lenza des Milanaises, que nous appelons « ferronnière. » Sur la tempe, à l’intersection de ce cercle équatorial et de la ligne descendante de la coiffe dorée, une applique de joyaux échelonnés dans l’ordre habituel : en haut, une petite pierre précieuse, sans doute un diamant ; au milieu, une grande pierre rouge, oblongue et plate, qui ressemble à. un rubis, et, au-dessous, une perle en forme de