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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/348

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les fumées d’incendie du Bazar de la Charité. Quelques curieux du passé s’étaient arrêtés là devant ; mais les tapageuses splendeurs des peintres anglais, qui se manifestèrent, en coup de foudre, à cette même exposition : les Reynolds, les Lawrence, empêchèrent l’attention de se fixer sur cette peinture comparativement plate, mince et sèche. Les visiteurs, éblouis par la frimousse frisée de Lady Price et le bras nu pendant de mistress Cuthbert, passèrent vite devant le modeste profil tracé par Ambrogiode Prédis. Il n’est pas sûr que Winterhalter, lui-même, avec son Enfant au gros chien, n’ait pas davantage arrêté la foule... Et le portrait de Bianca Maria Sforza, rentré dans l’ombre d’une collection privée, demeura enveloppé de tout le prestige d’un mystère qui n’a pas été pénétré.

Ce n’est pas l’identité du modèle qui est mystérieuse, ni son histoire officielle. Elle est attestée par le plus probant des documents : une médaille du cabinet impérial de Vienne, où l’on voit se profiter les deux têtes superposées de l’empereur Maximilien et de Bianca Maria Sforza, son épouse, avec cette inscription : Maximilianus ro. rex. et. bianca. M. coniges. IV ; l’angle facial de la femme y est sensiblement le même que dans notre portrait. L’identité est corroborée par toutes les autres effigies qu’on a d’elle : un dessin de l’Académie de Venise, où elle est figurée, toujours de profil, sur la même feuille que l’empereur Maximilien ; un portrait restauré du musée de Vienne, où l’on voit ce que serait notre figure du Louvre, posée de trois quarts ; un portrait tout emperlé de la collection Widener, attribué à Ambrogio de Prédis et le portrait de trois quarts peint en Allemagne, par Strigel, plus impératrice que jamais, parée comme une chasse et devenue allemande à plaisir, sans parler de sa statue en bronze, qui est à Innsbruck. Partout, on reconnaît le profil moutonnier tracé ici. Le témoignage des contemporains vient encore confirmer cette apparence : « D’expression très douce, d’une taille élancée, le visage beau et bien formé, très agréable en tous ses autres traits physiques et bien proportionnée, mais grêle, » dit d’elle le peintre Lomazzo, qui écrivait au XVIe siècle. Était-elle vraiment jolie ? C’est douteux. Il est vrai, qu’emporté par son lyrisme et aussi par le désir de reconnaître les faveurs du More, le poète toscan Bellincioni, hôte des Sforza, et mauvaise langue s’il en fut, écrivait d’elle :