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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/352

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des pays sauvages. Qu’est-ce que cela voulait dire et pouvait bien présager ?

C’était simplement le dernier acte d’une tragi-comédie, où la duchesse régente, Bona, avait perdu la tête et où son premier ministre avait laissé la sienne. La petite Bianca n’y avait joué aucun rôle, sa destinée n’en devait nullement être modifiée. Si elle s’en apercevait, c’était seulement pour les changements apportés dans son entourage. Voici ce qui était arrivé. Son père, en mourant, avait laissé quantité de frères, qu’on ne voyait plus au Castello, depuis sa fin tragique, parce qu’ils étaient mal avec le premier ministre, l’homme qui, sous le nom de la duchesse régente, et du jeune prince héritier Gian Galeazzo, gouvernait l’Etat : Cico Simonetta, délié politique et vieux serviteur des Sforza, et, s’il faut en croire un document des Missive ducali, caricaturiste à ses heures. Ce Cico Simonetta gérait fort bien les affaires de l’Etat, mais à condition de tenir éloignée toute la famille Sforza et de mater les seigneurs lombards. Il amassait donc sur sa tête les haines des grandes familles de Milan : les Pusterla, les Landriano, les Borromeo et autres. Longtemps, il put les narguer et narguer aussi tous les frères du défunt duc, même le duc de Bari (le More) parce qu’il tenait sous son influence la duchesse régente.

Mais le jour vint, où cette dame pieuse, sotte et mûre et « qui estoit de petit sens, » dit Commynes, s’avisa de tomber amoureuse « d’un jeune homme qui tranchait devant elle, natif de Ferrare, de petite lignée. » C’était un simple valet de chambre du feu duc, qui s’appelait Antonio Tassino. Bientôt, il ne fut bruit, à la Cour et à la ville, que de cette passion. Comme elle prêtait à rire, le vieux Simonetta en fit la remarque à sa souveraine et la gourmanda sur son peu de dignité ducale. De ce jour, il fut perdu. Toute une vie de labeur au service des Sforza ne pesa rien en regard des longues boucles et des beaux yeux du jeune écuyer tranchant. Le More, qui rôdait autour des états de son neveu, sut la chose, perdit toute vergogne, noua des intelligences avec le « maître de l’heure » et s’en vint secrètement à Milan et jusqu’au Castello, dont une porte dérobée, une porte du jardin, lui fut ouverte. Il était dans la place, et réconcilié avec sa belle-sœur, avant que le ministre tout-puissant en eût vent.

Quand Cico Simonetta connut enfin l’aventure, il ne put